«Motif d’équité», un cycle poétique d’Esohe Weyden
Récemment nommée poète de la ville d’Anvers, Esohe Weyden est aussi écrivaine, présentatrice et juriste. Daniel Cunin a sélectionné et traduit trois poèmes tirés de son plus récent recueil Richtingloos navigeren.
Juriste de formation, la jeune Esohe Weyden a signé à ce jour deux recueils de poésie ainsi qu’un livre pour enfants illustré par Mijke Coebergh. De 2025 à 2027, Esohe représente Anvers en tant que stadsdichter (poète de la ville).
Tussentaal (2022) privilégiait le spoken word –le titre renvoie à la «langue intermédiaire», celle parlée en Flandre de manière informelle et qui se situe entre les formes dialectales et l’idiome standard, mais aussi au fait de se trouver entre plusieurs langues.
Son second recueil, Richtingloos navigeren (Naviguer sans cap, 2025, éditions Pelckmans), adopte une thématique et un format plus traditionnels. À travers deux voix qui s’entremêlent, on est en effet en présence de la complexité de la passion amoureuse, des revers qui en résultent, de la nécessaire phase de guérison que traverse le cœur brisé.
Motif d’équité
1
La pluie crée des routes sinueuses sur mes joues.
L’air diffuse l’odeur de l’inaccoutumance du moment présent.
On est immobiles.
On tue le temps avec des questions tacites.
Elles volent autour de nous,
mais on n’y prête aucune attention.
Montés dans la voiture, on roule vers nulle part
jusqu’à ce qu’on fasse signe d’arrêter là.
On a trouvé une date
à laquelle aucun projet n’est lié.
Les mots sont suivis d’un point impitoyable
qui se répercute dans l’espace qui nous sépare.
Je gare les attentes,
les range à l’abri dans ma poitrine.
2
Accompagnée de son message sans suite
je fixe le beurrier en céramique.
Quand le pain s’envole dans les airs,
mon cœur bondit avec lui.
Argumenter et tirer des conclusions, on l’a déjà fait.
Il m’a promis plus de signes
tandis que les heures s’écoulent,
de décrire une courbe élégante en skiant sur le temps,
faire une pause sur la piste.
Mes yeux glissent sur son mot.
L’impassibilité en moi
est un signal incontesté.
Il n’y a pas de motif d’équité.
Je pense aux flocons de neige
qui fondent sur son nez.
Son haleine qui dessine des figures
dans l’air.
Je m’imagine
que le vrai dirait
qu’il préfère
que nous soyons cela.
À savoir un,
l’un dans l’autre
entrelacés
ou plutôt là-bas.
3
Nos valeurs
on les serre dans les mains
avec lesquelles on compile
en un album nos expériences.
On laisse raison et émotion rivaliser,
cherchant méticuleusement ce que l’on veut.
Après la poignée de main,
après les présentations,
après le tête-à-tête,
après les nourritures
viennent les prises de contact en série
qui formeront le chaînon
pour cette unique rencontre
qui sera d’ailleurs la dernière.
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