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D’un ruisseau breton à un porte-conteneurs: «Septentrion» et l’eau

Par Hans Vanacker, traduit par Jean-Marie Jacquet
26 novembre 2021 6 min. temps de lecture Septentrion quinquagénaire

Demandez à des francophones de citer cinq mots qu’ils rattachent spontanément aux Plats Pays. Il y a gros à parier que beaucoup répondront notamment «eau». L’eau, sous ses aspects les plus divers, a toujours été présente dans Septentrion: tantôt doux murmure en bruit de fond, tantôt menace dangereusement proche.

J’étais en dernière année du secondaire. «L’eau, avant que l’on ne s’en rende compte, sera à l’origine de beaucoup de guerres». C’est notre professeur de géographie qui parle, avec la conviction d’un oracle. Que Thomas Malthus nous fasse peur avec ses prédictions d’un monde surpeuplé, d’accord, mais cette affirmation du prof de géo, dites-moi, ne rimait à rien, non?

Cela fait maintenant plus de trente ans que j’ai la charge de Septentrion, et j’avoue que les paroles de ce brave homme (je veux dire le professeur) me sont revenues à l’esprit plus souvent que je ne l’aurais cru possible. Non pas que l’eau déclenche chaque année une guerre, mais tout de même.

Lorsque, fin 1989, est paru «mon» premier numéro de Septentrion, l’eau avait d’abord pour moi –comme, je présume, pour beaucoup– quelque chose de romantique. Une promenade le long d’un petit lac bucolique dans la montagne, l’agréable clapotis des vagues de la mer contre la digue par un doux soir de printemps, avec le soleil couchant près de disparaître sous la ligne d’horizon, quelque chose comme ça. Et si l’eau, d’aventure, était synonyme de menace, cela faisait tout au plus partie du passé. Témoin cet article (d’Anton Claessens) publié dans Septentrion en 2003, sur les inondations qui avaient si cruellement frappé la province de Zélande cinquante ans plus tôt. Mais les Pays-Bas, entre-temps, avaient déployé un ingénieux plan d’endiguement et de mesures contre les raz de marée ou autres périls de ce genre, faisant joliment un sort à l’ennemi de toujours.

Aujourd’hui, je vois les choses différemment, et ce pas seulement à cause des violentes averses qui ont naguère inondé les locaux de notre rédaction et que je vous ai relatées dans un précédent article de cette série. De plus en plus, l’eau s’est avérée un sujet difficile; ou bien il y en avait trop peu, ou bien subitement beaucoup trop. Ce qui s’est passé en Wallonie et en Allemagne cet été ne peut laisser personne insensible. Jamais encore la Belgique n’avait été confrontée de cette manière à l’impitoyable force destructrice de l’eau. Fin août, j’ai parlé avec une Flamande qui avait, une semaine après la catastrophe, distribué de la soupe dans une des villes les plus durement touchées. Son récit donnait froid dans le dos.

Maisons flottantes

Quels ont été les faits saillants de ces cinquante ans de Septentrion dans le domaine de l’eau? J’avoue ne pas avoir relu toutes les années de la revue. Je risque d’oublier plusieurs textes qui mériteraient d’être mentionnés.

Un des principaux articles est celui de Lotte Jensen, paru dans le tout récent numéro de Septentrion, où elle expose la manière dont les grandes inondations ont contribué à façonner l’identité néerlandaise. Elle y montre surtout comment naît l’image du Néerlandais qui finit par apprendre à vivre avec les éléments, du vigoureux Néerlandais qui se rend maître de l’eau. Mais, lors d’une récente conférence sur le sujet au musée des Beaux-Arts de Gand, l’auditoire a été frappé d’entendre Lotte Jensen aborder à plusieurs reprises la représentation que l’on se fait de l’eau, ennemi mortel qui n’épargne rien ni personne. Mauvais présage?

En 2001, au cours de la trentième année de Septentrion, sont sortis de presse deux volumineux numéros thématiques, l’un consacré à l’Escaut, l’autre à la Meuse. J’ose affirmer sans crainte d’exagérer que l’un et l’autre font partie des meilleurs de l’histoire de la revue. Le rédacteur en chef Jozef Deleu, qui allait prendre sa retraite l’année suivante, avait mis un point d’honneur à faire de ces deux numéros des numéros gagnants. De nombreux articles figurant dans ces dossiers Escaut et Meuse sont aujourd’hui encore passionnants à lire. Les points forts étaient, dans les deux cas, la vie sur le fleuve et sur ses rives ainsi que le rôle que l’Escaut et la Meuse ont joué, de près ou de loin, dans l’histoire et la littérature.

Une sorte de fil rouge a relié ces deux numéros thématiques: les parcours que Luc Devoldere, successeur de Jozef Deleu en 2002, a effectués depuis la source jusqu’à l’embouchure de chacun des deux fleuves. Les deux fois, il a suivi le même schéma. Commençant à pied, embarquant ensuite sur un petit bateau puis sur une péniche avant de prendre la mer sur un gros paquebot (d’Anvers à l’embouchure de l’Escaut occidental en mer du Nord, il a même navigué à bord d’un gigantesque porte-conteneurs bulgare).

J’espère que Luc Devoldere ne m’en voudra pas si j’accorde la palme à un article de Hans Ibelings sur l’architecture et l’eau. Ceci sans prétendre en aucune manière qu’il soit mieux écrit que les essais de Luc Devoldere, encore que Hans Ibelings ait la plume agile. Cet article a une histoire. Il est paru en 2006, ce qui n’est, en fait, pas très ancien. Ibelings y relatait comment des architectes et bureaux néerlandais de premier plan se comportaient vis-à-vis de l’eau. La description de maisons bâties comme des pontons, donc, en cas d’inondations, non seulement insubmersibles mais parées à voguer allègrement sur les eaux montantes, tout cela faisait ricaner la rédaction (moi inclus). Ces fous de Néerlandais, tout de même, et pas mal d’architectes rivalisaient de fantaisie pour attirer l’attention. La plupart de mes collègues d’alors sont aujourd’hui retraités. Quant à moi, l’envie de rire m’est passée.

Ruisseau breton et rancune tenace

Un mot, pour terminer, sur le thème de l’eau à travers un demi-siècle de rapports entre Septentrion et la littérature. Ici encore, qu’il s’agisse de prose, poésie, recensions, monographies d’auteurs ou rubriques diverses, nous n’avons que l’embarras du choix. Je me limiterai à trois exemples.

Nous avons évidemment recensé En mer, le roman qui a valu à l’écrivain néerlandais Toine Heijmans de remporter le prestigieux prix Médicis. J’ai également été impressionné par Thijs Broer. Ce journaliste a parcouru la mer du Nord en voilier depuis la frontière belgo-néerlandaise jusqu’à l’extrémité nord des Pays-Bas. Dans un carnet de voyage très réussi d’un point de vue stylistique, il nous a surpris par son portrait du Néerlandais vivant de plus en plus dos à la mer, comme s’il se détournait de l’eau.

Ma préférence personnelle va cependant à un auteur dont le nom est relativement peu familier, même aux néerlandophones: Martin Michael Driessen. Il a publié en 2016 Rivieren, recueil de trois nouvelles dans lesquelles le premier rôle est chaque fois tenu par un cours d’eau. Et c’est peu de parler d’un premier rôle. À chaque coup, l’eau détermine les faits et gestes des acteurs humains qui la côtoient. Si vous feuilletez le numéro 2-2017, vous y trouverez un extrait d’un de ces récits. Il vous emmènera au bord d’un ruisseau breton. Ce ruisseau sépare les domaines d’une famille catholique et d’une famille de huguenots. Une rancune dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle a la vie dure oppose ces deux familles depuis des générations. Le court fragment repris dans Septentrion est sans doute insuffisant pour vous faire goûter pleinement au talent de Driessen mais, croyez-moi, son Rivieren est un petit bijou. Dommage, vraiment, qu’il n’ait pas été traduit en français.

HV

Hans Vanacker

secrétaire de rédaction de Septentrion

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