Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

Marieke Ornelis: Huile sur toile
© Collectie Rijksmuseum, Amsterdam/ Sanne De Wilde
© Collectie Rijksmuseum, Amsterdam/ Sanne De Wilde © Collectie Rijksmuseum, Amsterdam/ Sanne De Wilde
Jeunes écrivain·es sur le travail invisible
Littérature

Marieke Ornelis: Huile sur toile

Dix-huit jeunes auteurs et autrices ont donné vie à des objets du XIXe siècle provenant du Rijksmuseum. Ils et elles se sont inspiré de la question suivante: que voyez-vous lorsque vous regardez ces objets en portant attention au travail invisible? Avec Marieke Ornelis, nous examinons le Portrait d'une jeune femme avec le chien Puck, peint par Marie-Thérèse Schwartze vers 1879-1885. «Entre nous se trouvent un souffle retenu et un capital invisible.»

Huile sur toile

1.

Abaisse ton épaule.
Comme ça.
Et attention à ton menton.

Je ne lui ai pas donné de nom mais un visage oui.

Entre nous se trouvent un souffle retenu et un capital invisible.
J’inventorie les choses qui ne sont pas normales –
mes pinceaux et mon tablier mon manque de modestie le fait que j’ai tout le temps
du monde et un atelier par-dessus le marché
Elle est une collection de froissures.
Elle est belle elle peut être pliée comme le lin de ses draps
elle les ouvre en même temps que ses bras et ses fenêtres.
J’inventorie les choses qui sont bien normales –
le chien Puck dans le coin ma toile de lin tendue les casseroles qui tintent en bas
le craquement des marches de l’escalier
Je suis une collection de lignes de fuite.
Je conserve lettres d’amour et graphite, un chagrin vit
dans mon bas-ventre.

Les usages restent clairs:
à chaque trait de pinceaux nos ressemblances s’estompent.
Entre nous se trouve mon regard.

2.

Elle n’est pas accrochée tout à fait droit.
Attends.
C’était mieux là-bas.

Je ne lui ai pas donné de nom mais un mur oui.

Ils adorent les femmes qu’on peut encadrer.
Parmi les types d’encadrements on trouve:
le châssis encadrant une toile de peintre une fenêtre rose sur un coin de rue
les bords du miroir la couverture du livre de cuisine

Entreposés au fin fond des caves du musée ils sont
salis jaunis défraîchis recouverts de draps
trempés de vernis.
Ils adorent les femmes sur lesquelles on peut pisser.

Ils adorent les femmes faites de craie et d’argile
de papier de plasticine de pixels
muses algorithmiques et putains de marbre.
Ils adorent les femmes qu’on peut mater.

Je détourne l’orientation du regard, sur chaque ligne de visée une seule perspective féminine.
Le guide audio:
des salles pleines d’annales sur des corps doux et tendres restez là sur votre
gauche vous voyez un humain réduit à l’état d’utérus sur votre droite une sorcière dangereuse une traînée restez là restez

Voici la signature,
Thérèse Schwartze.
Restez là restez à regarder.

3.

Existe-t-il un mot
pour cette couleur?
Parcouru l’ensemble des archives,
rien trouvé.

Je ne lui ai pas donné de nom mais une histoire oui.

On peut superposer les mots comme des couches de peinture à l’huile.
Ça commence avec le matériau:
la langue – ne pas incorporer d’expressions industrielles
et surtout ne pas diluer à l’eau.

Ensuite il est salutaire de recouvrir tout l’environnement,
les taches portent malheur.
Puis faites une esquisse sur le vif,
réfléchissez à l’utilisation de l’espace négatif, à la composition.

Couchez les phrases sur la toile, gras sur maigre.
Mélangez toujours plus d’huile de lin ou de térébenthine aux lignes.
Couche après couche repoussez l’inévitable fissuration de l’image,
rendez visible la construction, pour enfin la démanteler.

Il y a aussi des choses pour lesquelles vous ne trouverez jamais les mots,
le rouge des taches sur ses jupons coûteux le bleu des pièces où elle brodait contre
la montre les heures où elle posait immobile pour son portrait

Il y a des personnes dont on ne connaîtra jamais toute l’histoire.
Elle remit son nom, se dépouilla de son reflet.
Un portrait est une décision.

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