Cinquante ans de «Septentrion» et de relations culturelles néerlandophonie-francophonie
En 2021, Septentrion fête son cinquantième anniversaire. Une publication de culture générale concernant le monde néerlandophone, mais dans la langue et à destination du voisin: c’est ce qui rend Septentrion
unique. La revue a grandi, mûri, est devenue adulte, mais il y a eu constamment du mouvement à l’arrière-plan. Histoire, non seulement d’une revue, mais tout autant des relations culturelles, jalonnées de temps forts et de creux, entre la néerlandophonie et la francophonie.
Le succès d’une publication se mesure-t-il aux lieux où elle est l’objet de toutes les louanges? Peut-être bien. Le 18 mars 1981, le Flamand Jozef Deleu était l’hôte des salons de l’hôtel du Petit-Luxembourg à Paris, la résidence du président du Sénat Alain Poher. Étaient notamment présents Sadi de Gorter, premier directeur de l’Institut Néerlandais de Paris et ami fidèle de Deleu, et une brochette de hauts dignitaires de France, de Belgique et des Pays-Bas. Pas moins de quatre cents personnes ont assisté à la remise du prix Descartes à Deleu par Louise Weiss. La distinction était attribuée par l’Association France-Hollande, un organisme qui s’était assigné pour mission de promouvoir les liens culturels entre la France et les Pays-Bas. Son président, l’ancien préfet Yves Cazaux, s’est livré à un vibrant éloge de Jozef Deleu, qui, à la fois fondateur et rédacteur en chef de Septentrion. Revue de culture néerlandaise1, méritait ce prix plus que personne d’autre.
Le premier numéro de Septentrion a paru en 1972. Deleu, fils d’une mère flamande et d’un père français, avait placé en exergue de son avant-propos une citation de Paul Valéry: «Enrichissons-nous de nos mutuelles différences». Septentrion, revue de culture générale, entendait offrir trois fois par an une information de qualité sur l’aire linguistique néerlandaise (soit les Pays-Bas et la Flandre, partie néerlandophone de Belgique) et mettre en évidence les influences réciproques entre la néerlandophonie et la francophonie.
Avec Septentrion, Deleu n’en était pas à ses premières armes. En 1957 déjà, il avait fondé la revue Ons Erfdeel (à présent de lage landen), qui allait bientôt s’affirmer comme l’une des principales publications périodiques de culture générale en néerlandophonie. Le tout premier numéro portait d’ailleurs le titre Ons Erfdeel – Notre Patrimoine. Ce choix initial d’une édition bilingue trahissait le vif intérêt de Deleu pour la Flandre française.
La rapide progression de Ons Erfdeel doit avoir été une surprise pour Deleu lui-même. Il était instituteur depuis de longues années, mais il quitta l’enseignement pour porter la Stichting Ons Erfdeel (Fondation Notre Patrimoine) sur les fonts baptismaux. Deux ans plus tard, en 1972, la fondation entamait la publication de Septentrion. L’immeuble construit pour la fondation est situé à Rekkem, en Flandre-Occidentale, à même la frontière franco-belge et juste à mi-chemin entre Paris et Amsterdam.
Les choses bougent
Nous pouvons dire aujourd’hui que Septentrion est né à un moment-clé. Un moment où le renforcement de l’autonomie culturelle des différentes communautés linguistiques de Belgique au sein du pays a engendré en Flandre un besoin accru de collaboration avec l’étranger. Quasi automatiquement, la Flandre s’est tournée en premier lieu vers les Pays-Bas. Le rapprochement avec le Nord a mené en 1980 à la création de la Taalunie, organe officiel qui allait développer une politique stimulante pour le néerlandais aux Pays-Bas et en Flandre (et, plus tard, également au Surinam) et se vouer au soutien du néerlandais dans le monde. L’année suivante s’ouvrait à Amsterdam la maison culturelle flamande De Brakke Grond.
© M. Samyn
Sous l’impulsion, entre autres, de la Fondation Notre Patrimoine, des voix se sont également manifestées en faveur du développement d’un rapprochement culturel et d’une coopération avec d’autres pays. En Flandre (d’abord essentiellement dans la sphère privée, puis aussi dans une partie du monde politique), il apparaissait de plus en plus évident que des relations de bon voisinage sont primordiales pour une communauté de langue et de culture. Le plus proche voisin était la francophonie, elle méritait la priorité. De plus, la fixation de la frontière linguistique en Belgique (1963) avait atténué la crainte de l’impérialisme francophone. C’est dans cette atmosphère et ce contexte que Septentrion a vu le jour.
Suspendus aux lèvres de Hugo Claus
Éditer une revue en français sur les Pays-Bas et la Flandre, cela n’en restait pas moins une entreprise téméraire. Mais Deleu a su rallier à sa cause aussi bien des traducteurs talentueux que d’éminentes personnalités des sphères académique et sociétale belges et françaises pour constituer le comité
de conseil. La rédaction ne comprenait pas seulement des Flamands, mais aussi, notamment, un Français et deux Néerlandais.
La revue pouvait dès lors démarrer sur de bonnes bases. En feuilletant aujourd’hui les premières années de parution, on ne s’étonnera pas du succès de Septentrion. Dans la ligne de son objectif culturel au sens large, la revue offrait d’emblée une mine d’informations sur la littérature, les arts plastiques, une grande variété d’autres disciplines artistiques et des sujets sociaux d’intérêt général. Ces informations prenaient forme dans des articles de fond, mais aussi, au fil du temps, dans des textes plus courts en prise sur l’actualité.
© M. Samyn
Une intéressante trouvaille a été celle des «lettres flamandes et néerlandaises», rendant compte, chacune à sa manière, de la vie culturelle et des thèmes généraux de société. À la fin des années 1970 paraît la première des «chroniques» pleines de verve de Sadi de Gorter. Ce compagnon de la première heure, passeur de cultures s’il en est, allait publier une «chronique» dans chaque numéro et ne s’arrêter que peu avant sa mort en décembre 1994.
À partir de 1986, Septentrion a paru non plus trois, mais quatre fois par an. La rédaction a réussi à s’attacher davantage de plumes de qualité, auteurs et critiques qui (principalement dans le monde néerlandophone) jouissaient d’un grand renom.
La presse française ne demeurait pas insensible aux objectifs de la revue et à sa haute tenue. Libération voyait en Septentrion «une contribution directe à la bonne entente entre les peuples dans le cadre d’une Europe un peu plus unifiée chaque jour». En même temps paraissaient de plus en plus souvent des numéros plus volumineux dans lesquels un thème déterminé était présenté de manière approfondie. Quelques exemples au hasard: des numéros thématiques consacrés à la poésie contemporaine, tantôt néerlandaise, tantôt flamande, un autre à James Ensor, un autre encore à la Grande Guerre. Au début du XXIe siècle ont notamment paru des numéros thématiques sur l’Escaut et la Meuse, un sur le Québec et un sur les relations entre les Plats Pays et Paris. Ces deux derniers exemples nous amènent à une période où Jozef Deleu a cessé d’être le rédacteur en chef, Luc Devoldere ayant pris sa succession en 2002.
Les numéros thématiques ont couramment donné lieu à l’organisation de soirées culturelles, souvent dans des salles de prestige ou autres lieux réputés, comme l’ Institut Néerlandais à Paris, le Théâtre de la Monnaie à Bruxelles, l’Opéra royal de Liège ou le Théâtre royal de Namur. Ces soirées ont toujours suscité un vif intérêt et ont, à l’occasion, été rehaussées par la présence de sommités. L’affiche n’était évidemment pas étrangère à cet engouement, notamment lorsqu’elle comportait des noms dont la réputation avait gagné la francophonie, tel l’écrivain Hugo Claus (1929-2008), venu en personne à diverses reprises donner lecture de quelques-uns de ses poèmes en traduction française. Chaque fois, l’assistance était suspendue à ses lèvres.
Une excursion dans le nord de la France
Où se trouvent la plupart des lecteurs de Septentrion? La réponse est assez simple: partout dans la francophonie. Mais trois noyaux émergent: la partie francophone de Belgique, l’Île-de-France et le nord de la France (surtout le département du Nord, mais aussi celui du Pas-de-Calais).
Le nord de la France a des liens historiques avec la Flandre. Jusqu’en 1713, une partie de son territoire – la Flandre française – appartenait aux Pays-Bas méridionaux. Force est cependant de constater que la coopération transfrontalière après la Seconde Guerre mondiale a d’abord été essentiellement une question d’individus. L’un de ceux-ci était Jozef Deleu. Nous avons déjà dit un mot de son intérêt pour la Flandre française. Cet intérêt ne devait rien au hasard.
Le père spirituel de Deleu était l’écrivain flamand André Demedts, qui avait réuni autour de lui un réseau de jeunes gens soucieux de mettre en évidence les liens culturels avec la Flandre française. Dans la foulée du lancement de la revue Ons Erfdeel, Deleu a créé en 1976 De Franse Nederlanden – Les Pays-Bas Français, annales bilingues de culture générale concernant les départements du Nord et du Pas-de-Calais (ces annales ont paru jusqu’en 2018).
La fin des années 1980 a vu les pouvoirs publics passer à l’action. En 1989, la province de Flandre-Occidentale et le département du Nord ont signé un protocole de coopération. Deux ans plus tard, la Commission européenne a donné le coup d’envoi de l’initiative communautaire Interreg. Du coup, d’importants budgets ont été mis à la disposition des pouvoirs publics. C’est ainsi qu’a notamment pu être créée l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai.
Le déplacement du centre de gravité de l’individu vers les autorités a généré une collaboration transfrontalière à la fois plus consistante et plus ciblée en termes de projets. Toutefois, le contenu s’est lui aussi considérablement modifié. Alors que, précédemment, c’étaient surtout l’histoire, la langue et la culture qui étaient susceptibles de retenir l’attention, les projets se sont de plus en plus orientés vers des travaux d’infrastructure et une collaboration sur le plan économique. Dans un contexte évoluant aussi rapidement, l’utilité d’une publication de culture générale comme De Franse Nederlanden – Les Pays-Bas Français grandissait d’année en année.
George Bush ne met pas de bâtons dans les roues
La date du 20 mars 2003 restera toujours liée à la troisième guerre du Golfe. George Bush, avec sa coalition of the willing, attaquait l’Irak de Saddam Hussein. L’effet produit par cette intervention se lisait à Paris le soir même sur les nombreux visages assombris que l’on croisait à l’ouverture du Salon du Livre, qui se tenait selon une belle coutume porte de Versailles, dans l’imposant cadre du Hall 1.
Le Salon de cette année-là n’était pas une édition comme les autres pour les Pays-Bas et la Flandre, mis ensemble à l’honneur et occupant le stand central.
Une tradition qui avait été inaugurée en 1993 à la Frankfurter Buchmesse. Pays-Bas et Flandre avaient aussi été réunis sous le label “pays hôte” aux foires du livre de Barcelone et de Göteborg. Ils l’étaient à présent dans la Ville lumière. L’organisation et la coordination du stand avaient été confiées au devancier de l’actuel Nederlands Letterenfonds
(Fondation néerlandaise des lettres) et à la fondation flamande appelée aujourd’hui Flanders Literature.
Prétendre que les écrivains flamands et néerlandais n’aient eu, avant 2003, aucune chance de se tailler une place sur le marché français serait contraire à la vérité. On se rappellera le prix Femina Étranger décerné au romancier néerlandais Jeroen Brouwers au milieu des années 1990. Mais cette édition du Salon du Livre de Paris a été un moment privilégié dans les échanges entre néerlandophonie et francophonie. Le nombre de traductions littéraires ne retomberait pas au modeste niveau d’avant, les romans, recueils d’essais ou de poésie avaient désormais un peu plus de chances de susciter l’intérêt de la presse et des lecteurs, et un auteur néerlandophone remportant un prix dans l’Hexagone ou en Belgique francophone cessait de faire figure d’oiseau rare.
De plus, la littérature en langue néerlandaise pouvait compter sur un nombre croissant de traducteurs de grand talent vers le français. Les ateliers de traduction organisés à l’Institut Néerlandais (dans la suite, au Nouveau Centre Néerlandais) ont joué à cet égard un rôle non négligeable. Ces ateliers ont longtemps été supervisés par Philippe Noble, jusqu’à ce que Isabelle Rosselin prenne le relais. Vous avez là deux noms de traducteurs de haut niveau. De peur d’oublier quelqu’un, je m’abstiens de vous en donner une liste. Je puis vous renvoyer à la liste des lauréats du prix des Phares du Nord, distinction qui récompense des traductions littéraires du néerlandais en français, mais ce palmarès ne vous apportera malheureusement qu’une information très partielle.
Ce n’était pas la première fois que Septentrion était présent au Salon du Livre de la porte de Versailles avec son propre stand, et il en serait encore ainsi pendant de nombreuses années. Mais, en 2003, le stand était plus grand que d’habitude. Cela avait quelque chose de symbolique. Le rôle que jouait et continue de jouer la revue pour faire connaître les auteurs néerlandais et flamands dans le monde francophone n’est pas mince. Chaque numéro fait une large place à la littérature d’expression néerlandaise, avec des vues d’ensemble, des articles monographiques et des extraits de prose ou des poèmes en traduction française. Des écrivains non encore traduits en français y trouvent également leur place, si bien que Septentrion permet à maints éditeurs de faire vraiment connaissance avec un auteur.
Le vent en poupe
L’année 2003 était au cœur d’une période durant laquelle la néerlandophonie et la francophonie prenaient un plaisir manifeste à établir des contacts de plus en plus étroits. En France, le Centre national du livre avait consacré en 1994 une édition des Belles Étrangères aux Pays-Bas et en 1994 c’était au tour de la Belgique. Des écrivains de Flandre et de Belgique francophone ont sillonné la France de concert. Quelques auteurs trouvaient bizarre d’avoir dû attendre une initiative française pour faire mutuellement connaissance, mais ceci nous éloigne de notre propos.
Au début de 2002 se situe un événement d’une tout autre nature, mais non moins remarquable: l’ouverture, à peine à un jet de pierre des Champs-Élysées, de la Délégation flamande (dans son appellation officielle d’aujourd’hui Délégation générale du Gouvernement de la Flandre en France). La France disposait dorénavant d’un point de contact diplomatique direct avec la partie néerlandophone de la Belgique.
Restons un moment encore dans les cercles diplomatiques où se produisirent d’autres événements réjouissants. L’année même où les Pays-Bas et la Flandre étaient mis à l’honneur au Salon du Livre est aussi celle de la création du Conseil de coopération franco-néerlandais. Cet organe, coprésidé par les deux ministres des Affaires étrangères, comptait une trentaine de personnalités françaises et néerlandaises et se proposait d’intensifier les relations entre les sociétés civiles néerlandaise et française.
Parmi les initiatives phares du Conseil figurent les Conférences Érasme-Descartes, organisées annuellement tour à tour à l’Institut Néerlandais à Paris et à la Maison Descartes (plus tard rebaptisée Institut français) à Amsterdam. Ces conférences, axées sur un thème d’actualité (d’ordre sociétal général) chaque fois différent, permettaient à des spécialistes français et néerlandais de présenter les résultats de leurs études et de partager leur expertise.
L’année 2003 était au cœur d’une période durant laquelle la néerlandophonie et la francophonie prenaient un plaisir manifeste à établir des contacts de plus en plus étroits
Ce ne furent pas là les seuls sujets de satisfaction. Peu avant le Conseil de coopération franco-néerlandais était également créé le Réseau franco-néerlandais de l’enseignement supérieur et de la recherche (RFN). Animé par deux secrétariats (l’un établi à Lille, l’autre à Utrecht), ce RFN avait un triple rôle: réunir et diffuser l’information, développer une politique de services et favoriser le dialogue entre les sociétés civiles française et néerlandaise. Une multitude d’initiatives (voyages d’études, soutien à des colloques, publication de cahiers, etc.) ont vu le jour et le RFN allait aussi avoir une voix dans l’attribution du prix d’Amsterdam. Cette distinction, dotée de 15 000 euros, récompensait tous les deux ans un(e) étudiant(e) français(e) en lui permettant de poursuivre des recherches scientifiques sur la culture, l’histoire, la politique et / ou la langue néerlandaises aux Pays-Bas. Ce prix était en quelque sorte le pendant de la bourse octroyée en sens inverse par le prix de Paris, beaucoup plus ancien.
En un mot comme en cent, les relations bilatérales (culturelles et autres) entre les Pays-Bas et la France ont joliment progressé en ce début de XXIe siècle. C’est bien pourquoi, au milieu de l’année 2006, Christiaan Kröner, alors ambassadeur des Pays-Bas en France et sur le point de s’envoler pour Washington, n’hésitait pas à faire ce pronostic: «Dans une dizaine d’années, la France et les Pays-Bas se seront considérablement rapprochés»2.
Changement de décor
Pour toute personne qui, dans le courant de l’année 2013, a fréquenté le prestigieux immeuble du 121 rue de Lille à Paris, la tension était palpable. Une menace de fermeture planait sur l’Institut et, à la fin de l’année, l’Institut fermait ses portes. Vue d’une certaine distance, cette décision ne laissait pas de surprendre. Les cinquante ans de l’Institut n’avaient-ils pas, en effet, été fêtés avec enthousiasme six ans plus tôt? La reine Beatrix en personne ne s’y était-elle pas rendue? Et le programme rue de Lille ne s’était-il pas considérablement diversifié, ajoutant à la littérature, à la musique et aux arts plastiques un foisonnement de thèmes sociétaux d’intérêt général plus attrayants les uns que les autres?
Il y avait cependant des signes précurseurs. En 1989-1990 déjà, les pouvoirs publics des Pays-Bas avaient envisagé de fermer l’Institut Néerlandais. Cela avait suscité une levée de boucliers, y compris au sein de la Deuxième Chambre de La Haye. Parmi les plus farouches opposants figurait Frits Niessen (1936-2020), membre du parti social-démocrate PvdA. Niessen, fidèle compagnon de route de Jozef Deleu depuis fin 1957 déjà, est resté actif jusqu’en 2016 auprès de la Fondation Notre Patrimoine en tant que rédacteur en chef adjoint de l’ensemble des publications.
Les partisans de la fermeture de l’Institut Néerlandais mettaient en avant le coût financier. L’Institut occupait un immeuble qui était la propriété de la Fondation Custodia (créée après la Seconde Guerre mondiale par le collectionneur d’art Frits Lugt). Le montant du loyer que l’Institut payait à la Fondation Custodia était considérable. Mais le pouvoir néerlandais ne faisait-il pas preuve d’un singulier manque de ferveur pour une institution culturelle assurant sa présence en plein cœur de Paris? Les Pays-Bas n’ont jamais investi dans les institutions culturelles propres extra muros et la plupart de celles qu’ils géraient tout de même furent remises en question dès la fin des années 1980 – le début des années 1990. Il est de notoriété publique que, pour la présentation de la culture néerlandaise à l’étranger, les Pays-Bas font de préférence appel à de grandes institutions culturelles (entre autres des orchestres, compagnies de ballet et musées) ou à des fonds tels que le Nederlands Letterenfonds ou DutchCulture.
Quoi qu’il en soit, le ton était donné. Deux ans plus tard, le pouvoir français a fermé la réputée Maison Descartes – Institut français à Amsterdam. Le somptueux immeuble du Vijzelgracht a été vendu en 2017. Pendant ce temps, les Pays-Bas rognaient sur les moyens mis à la disposition du Réseau franco-néerlandais de l’enseignement supérieur et de la recherche. Le nombre de collaborateurs a été réduit de trois à un seul et le secrétariat intégré à la Nuffic, l’organisation néerlandaise de l’internationalisation de l’enseignement. La prédiction de l’ambassadeur Christiaan Kröner commençait à avoir un arrière-goût amer.
Pas de nombrilisme
Il ne faut cependant pas trop verser dans les lamentations et les jérémiades. Car il y a eu des éclaircies réjouissantes. Le Nouveau Centre Néerlandais, qui occupe un étage de l’ancien Institut, a pris le relais d’une importante fonction de son prédécesseur: les cours de néerlandais langue étrangère, à différents niveaux, dispensés toute l’année. L’ambassade des Pays-Bas à Paris accorde une grande attention à la culture. Un exemple: avec le concours de l’auteure et critique Margot Dijkgraaf, du Nederlands Letterenfonds et de Flanders Literature, l’ambassade a mis sur pied le projet Les Phares du Nord. Ceci a amené des dizaines d’auteurs d’expression néerlandaise à se présenter dans les lieux les plus divers de l’Hexagone. Quelques festivals littéraires ont mis les Pays-Bas à l’honneur.
Autre bon point: l’engouement pour la poésie néerlandaise lors de l’édition 2019 du Marché de la poésie à Paris. La place Saint-Sulpice a réservé au pays hôte, les Pays-Bas, un accueil des plus chaleureux. Tout comme cela avait été le cas à l’égard de la Belgique quatre ans auparavant. Poètes et poétesses de Flandre et de Belgique francophone y avaient, côte à côte, récolté une attention méritée. En Belgique même, diverses initiatives sont à signaler. En 2012 a été – enfin – conclu un accord de coopération en matière culturelle entre les communautés flamande et française. Le pays a désormais aussi son Poète national (actuellement, c’est le francophone Carl Norac, poète et auteur de livres pour la jeunesse); à Bruxelles, la maison des littératures Passa Porta offre à de nombreux néerlandophones, francophones et locuteurs d’autres langues l’occasion de se rencontrer. Il y a deux ans, la Flandre était à l’honneur à la Foire du Livre de Bruxelles. Le programme Flirt flamand au stand de Flanders Literature a connu un grand succès. Avec peut-être un regret
chez ceux qui se souvenaient des présentations réunissant la Flandre et les Pays-Bas à Francfort, à Paris et dans d’autres villes: c’est que Bruxelles ne faisait pas le lien avec les Pays-Bas. Pour le reste, la présence régulière de Septentrion
à la Foire du Livre avec son propre stand est déjà très ancienne, mais je n’apprends certainement rien au lecteur.
Qu’en est-il entre-temps de Septentrion? La revue continue avec un enthousiasme inaltérable à remplir son rôle de main tendue de la néerlandophonie à la francophonie. Lorsque le Poète national belge Carl Norac, interviewé par le magazine flamand Knack, avoue avoir découvert la culture de langue néerlandaise grâce à Septentrion, cela fait chaud au cœur.
Dans un monde où le nombrilisme semble décidément gagner du terrain, une publication périodique telle que «Septentrion» forme un indispensable contrepoids.
Mais le contexte social dans lequel paraît la revue a changé. Il semble qu’il y ait une tendance générale au repli sur soi des cultures et / ou des sphères linguistiques. Pourtant, au sein du contexte flamando-néerlandais, les pouvoirs publics ont demandé à la Fondation Notre Patrimoine de renforcer la coopération avec les organismes partenaires flamands et néerlandais. Mais la manière dont la Flandre et les Pays-Bas peuvent (ensemble) se présenter à d’autres mondes culturels recueille aujourd’hui beaucoup moins l’attention. Ainsi il est symptomatique que deBuren, maison flamande de la culture et du débat dans la ville plurilingue et multiculturelle de Bruxelles, ne dispose que d’un site web en langue néerlandaise. Malgré la résidence organisée annuellement à Paris pour de jeunes auteurs néerlandais et flamands (initiative intéressante et fructueuse), deBuren n’éprouve toujours que très peu le besoin d’adopter une programmation adéquate pour faire connaître la culture néerlandophone aux personnes parlant d’autres langues.
Il n’y a pas que le repli sur soi. Il est certain que, depuis la crise financière de 2008, les subventions allouées à la culture et aux projets liés à la politique culturelle (ou à la “diplomatie” culturelle) sont mis à mal. C’est ainsi que, depuis 2020, Septentrion doit vivre sans aide des pouvoirs publics flamands. Les autorités néerlandaises, cependant, subventionnent encore la revue. La Fondation Notre Patrimoine demeure convaincue de l’utilité de Septentrion, sous une forme complémentaire à côté du site web www.les-plats-pays.com (qui a été mis sur les rails au printemps 2019 et que la revue avait anticipé par un blog fonctionnant depuis quelques années). Dans un monde où le nombrilisme semble décidément gagner du terrain, une publication périodique telle que Septentrion, franchissant avec respect mais en toute liberté les frontières linguistiques et culturelles et paraissant désormais deux fois par année dans des numéros plus épais, forme un indispensable contrepoids. Le nouveau rédacteur en chef Hendrik Tratsaert et son équipe y œuvrent de toutes leurs forces.