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L’enseignement du français en Flandre et aux Pays-Bas

18 octobre 2021 8 min. temps de lecture Passerelles entre francophonie et néerlandophonie

Le niveau de l’enseignement du français en Flandre et aux Pays-Bas est en baisse sensible. À cela, il y a plusieurs raisons. Elles ont trait à la fois à la société d’aujourd’hui et à l’enseignement lui-même.

Flandre: la prise de conscience

L’enseignement des langues en Flandre a longtemps joui d’une solide réputation, mais au cours des quinze dernières années cette image a commencé à se ternir. La situation est on ne peut plus alarmante dans l’enseignement primaire, bien que les initiatives pour stimuler l’enseignement du français langue étrangère (FLE) ne manquent pas.

Grâce aux modifications du décret du 29 avril 2004, l’enseignement du français en Flandre et dans les communes flamandes à facilités pour les francophones est devenu obligatoire au troisième degré (10-12 ans) alors qu’il n’était que facultatif jusque-là. Il en résulte que les contenus de cet enseignement sont formalisés dans des programmes d’étude contrairement à d’autres initiatives qui ont vu le jour depuis, à savoir l’éveil et l’initiation. L’éveil sert à sensibiliser, à familiariser les enfants avec plusieurs langues étrangères, tandis que l’initiation est une introduction, une préparation à l’enseignement formel d’une langue étrangère en particulier. L’éveil et l’initiation permettent de mettre les enfants en contact avec le français à un âge précoce, mais ils ont l’inconvénient d’être plus libres.

Malgré toutes ces initiatives, des recherches récentes ont montré que, à la fin du primaire, les élèves ont une meilleure connaissance lexicale en anglais qu’en français, bien qu’ils n’aient jamais profité d’une seule leçon dans la langue de Shakespeare. Ces résultats sont pour le moins choquants et mettent notamment en cause la formation des instituteurs. Dans son roman Paysage flamand avec nonnes1, l’écrivaine, traductrice et institutrice Liliane Wouters (1930-2016) compare la formation actuelle à celle qu’elle a eue dans une école normale flamande pendant les années 1940. Elle dépeint sa formation comme exigeante et, bien que celle-ci ait beaucoup changé, il est urgent de se demander si elle est encore assez exigeante de nos jours.

Malheureusement, il y a des raisons d’en douter. Ainsi, une enquête menée par des inspecteurs de l’enseignement flamand dans 195 classes de primaire a révélé qu’un instituteur sur trois n’ose pas parler français en classe de crainte de se faire corriger par des élèves bilingues. Pour se protéger, les enseignants s’accrochent aux livres et à l’écrit en supprimant toute communication orale. Cet enseignement ne correspond pas à celui des langues modernes et ne motive guère les élèves qui passent ensuite dans l’enseignement secondaire, où la situation est différente mais pas moins inquiétante.

Serons-nous capables de revaloriser l’enseignement des langues dans une société dominée par les sciences et les nouvelles technologies?

Parmi les problèmes avancés par bon nombre d’enseignants du secondaire se trouve en tête l’approche utilisée. Celle-ci met en relief l’importance des compétences et de la communication, mais elle serait trop longtemps appliquée comme une doctrine intransigeante aux dépens des connaissances lexicales et grammaticales. D’autres facteurs fréquemment signalés sont la réduction du nombre d’heures de français et la perte de contact avec la culture francophone. À l’heure actuelle, la prise de conscience de la dégradation est devenue tellement générale qu’un nombre croissant de parents inscrivent leurs enfants à des cours privés ou à un camp linguistique, et ce à un âge de plus en plus précoce.

Ce phénomène montre que la maîtrise du français est toujours considérée comme importante dans ce pays trilingue, bien que la motivation soit principalement extrinsèque. L’enseignement en immersion (assurant une partie des cours et des activités pédagogiques dans une langue moderne autre que le néerlandais) pourrait apporter une lueur d’espoir. Il a officiellement été autorisé en 2014. Bien qu’il soit appliqué de manière limitée et discontinue, il se rencontre aujourd’hui déjà dans 137 écoles dont 76 offrent des matières en français, contre 113 en anglais.

Finalement, il est peu surprenant de constater que l’enseignement supérieur s’avère tout aussi mal en point. En 2019, 42 enseignants de français de 14 écoles supérieures et universités en Flandre ont tiré la sonnette d’alarme en lançant une pétition qui a retenti dans la presse nationale. Année après année, l’écart entre le niveau d’entrée en première année et ce qui est visé à la fin des études devient plus grand. Par conséquent, les enseignants fustigent le niveau de recrutement et le nombre d’heures trop bas pour y remédier. Le nombre d’étudiants en français est en baisse, alors que la demande dans les entreprises et dans l’enseignement reste très élevée. Le français occupe, ex æquo avec l’espagnol, la troisième place, derrière l’anglais et le néerlandais qui, lui, chute encore davantage.

Pays-Bas: plusieurs soucis

Aux Pays-Bas, l’enseignement du français connaît une longue histoire. Du XVIe au XIXe siècle, les citoyens les plus aisés envoyaient leurs enfants dans des Écoles Françaises pour les préparer à une carrière dans le commerce, l’industrie ou la haute administration. Les Écoles Françaises étaient des écoles privées (souvent des internats), agréées par le conseil municipal. Comme indiqué dans les programmes, le français était une matière importante, à côté du néerlandais, de l’arithmétique, de l’histoire et de la géographie. À partir du début du XIXe
siècle, la participation du gouvernement à l’éducation n’a cessé de croître. Le français, mais aussi l’anglais et l’allemand, se sont implantés dans l’enseignement public.

La domination de l’anglais depuis la Seconde Guerre mondiale a fait qu’il constitue maintenant la première langue étrangère dans l’enseignement aux Pays-Bas. En outre, avec la nouvelle loi sur l’éducation («la loi mammouth») de 1968, le nombre d’heures d’enseignement hebdomadaire disponible pour le français a diminué et le nouveau système de cours optionnels a affecté le français de manière très négative.

Avec la disparition des frontières intérieures européennes au début des années 1990, on a cependant commencé à se faire des soucis tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’enseignement. Il y avait des doutes quant à savoir si l’enseignement des langues étrangères couvrait de manière adéquate la demande de la société en matière de connaissance des langues étrangères. Selon plusieurs universitaires, le bât blesse surtout dans l’enseignement secondaire. Ainsi, Alicia Montoya, professeure de littérature française à la Radboud Universiteit de Nimègue, avance deux facteurs spécifiques en rapport avec l’enseignement secondaire.

D’abord, elle souligne la baisse du niveau de français due à la réforme du degré supérieur du secondaire en 1998. Le nombre d’heures d’enseignement du français dans l’enseignement secondaire a diminué d’un tiers, ce qui signifie que le programme se limite dorénavant à l’entraînement des compétences linguistiques de base. Dans de nombreux cas, les élèves ne lisent jamais un livre en français au lycée. Un deuxième facteur est qu’en raison de la pénurie d’enseignants il y a de plus en plus d’enseignants de français non qualifiés dans les classes supérieures, ce qui n’aide pas à enthousiasmer les élèves pour la matière.

Dans l’enseignement supérieur, les programmes de français ont également diminué avec le processus de Bologne amorcé en 1998. Ce processus de rapprochement entre les systèmes d’études supérieures européens propose une division en une formation de bachelor (BA) et une de master (MA).

Suite à cette opération, il demeure un BA en français, mais plus de MA à part entière. Certains cours de français sont proposés dans le cadre de programmes de master plus généraux tels que le MA linguistique et le MA littérature, mais ne constituent plus l’équivalent de la dernière année dans l’ancien curriculum de français. Le nombre d’étudiants dans les programmes de BA français est en baisse constante depuis les années 1970. Plusieurs causes peuvent être désignées pour expliquer le déclin de la popularité du français aux Pays-Bas: le français y est considéré comme une langue d’élite, il est fortement associé à l’enseignement et les Pays-Bas sont principalement orientés vers le monde anglo-saxon.

À l’heure actuelle, il ne reste que quatre formations universitaires de français, à savoir à l’Universiteit Amsterdam, aux universités d’Utrecht et de Leyde et à la Radboud Universiteit de Nimègue. Ces dernières années, deux formations de français, à la Vrije Universiteit Amsterdam et à l’université de Groningue, ont été supprimées. Dans les quatre établissements mentionnés, les inscriptions en première année de français varient d’une petite vingtaine (Amsterdam et Nimègue) à une petite trentaine (Leyde et Utrecht). Quant au corps enseignant, il ne compte plus que trois professeurs des universités en linguistique et une seule en littérature et culture françaises dans tout le pays.

L’union fait la force

L’image esquissée du français dans tout le territoire néerlandophone semble être très négative. Cependant, nous ne voulons pas faire d’injustice aux nombreux professeurs de français qui recherchent sans cesse l’optimisation des besoins de leurs élèves et qui militent pour un meilleur enseignement. Ainsi, en 2019, une poignée de représentants des différentes universités flamandes ont décidé de créer la Vlaams Talenplatform (Plateforme flamande pour les langues) afin d’entreprendre des actions communes.

Peu à peu, des enseignants en dehors des institutions académiques ont également rejoint la plateforme, représentant ainsi un large groupe de professeurs de langues. L’union fait la force, une fois de plus. La plateforme œuvre pour mettre en évidence l’importance du néerlandais, des langues étrangères modernes et des langues classiques parce qu’il est clair que c’est l’enseignement des langues dans sa totalité qui est en péril. Or, on a beau entreprendre des démarches à la base, encore faut-il que le gouvernement mette la main à la pâte. Serons-nous capables de revaloriser l’enseignement des langues dans une société dominée par les sciences et les nouvelles technologies qui utilisent l’anglais comme linga franca? Et quel en sera le modèle: démocratique ou plutôt un retour aux Écoles Françaises? À suivre.

Note
Voir Septentrion, XLVII, n° 2, 2008, pp. 95-98.
L’auteur remercie Alicia Montoya (Radboud Universiteit de Nimègue) et Liesbet Heyvaert (KU Leuven) pour leurs renseignements qui ont été d’une aide précieuse en vue de la rédaction du présent article.
Filip Verroens

Filip Verroens

docteur en linguistique et enseignant de didactique du français langue étrangère à l’Universiteit Gent

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