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histoire

La révolte des esclaves de Berbice en 1763: pourquoi faut-il s’en souvenir?

Par Reinier Salverda, traduit par Marieke Van Acker, Arthur Chimkovitch
12 août 2021 3 min. temps de lecture Le passé colonial

Grâce aux Archives nationales des Pays-Bas, nous avons pour la première fois accès aux lettres écrites par celui qui dirigea la toute première grande révolte d’esclaves aux Amériques. «L’importance de la révolte des esclaves de Berbice dépasse de loin les seuls Pays-Bas», estime le professeur Salverda du University College à Londres.

L’installation intitulée Rebellion & Freedom (Rébellion et Liberté), présentée aux Archives nationales de La Haye, retrace l’histoire de trois soulèvements et de leur impact sur la société néerlandaise d’hier et d’aujourd’hui. Trois documents historiques de première importance y sont exposés.

Tout d’abord, il y a la déclaration de 1588 par laquelle les Néerlandais proclamèrent leur liberté et leur indépendance vis-à-vis du roi d’Espagne Philippe II. Viennent ensuite deux documents datant de 1795: la première Constitution de la république batave, organisée selon les principes de la Révolution française, en combinaison avec une requête imprimée, signée par deux cents femmes néerlandaises. Elles y exigent, en vertu de la Constitution, l’égalité des droits en tant que citoyennes.

La pièce maîtresse de l’installation date de 1763 et documente la toute première révolte massive de l’histoire des Amériques: celle qui éclata en février 1763 parmi les esclaves noirs de la colonie néerlandaise de Berbice (aujourd’hui la Guyane néerlandaise, près du Suriname).

On y voit exposées les lettres qu’écrivit Coffy, le chef de la révolte des esclaves de Berbice, au gouverneur des Pays-Bas ayant pris la fuite à bord de son navire. Dans ces écrits, Coffy propose aux deux parties de négocier et d’accepter à Berbice la coexistence pacifique des Noirs libres aux côtés de leurs anciens maîtres néerlandais.

Ce qui suivit fut, au contraire, une très violente répression de la révolte par les Néerlandais. C’était l’époque où les Néerlandais étaient connus dans le monde entier pour les cruautés inouïes qu’ils commettaient envers leurs esclaves au Suriname –faits décriés par Voltaire dans son Candide (1759), par l’abbé Raynal dans sa célèbre Histoire des deux Indes (1774) –le complément colonial à l’Encyclopédie de Diderot– ou encore par Stedman dans son Narrative of Five Years Expedition Against the Revolted Negroes of Surinam (Chronique d’une expédition de cinq ans contre les insurgés Noirs du Surinam) (1796) avec des illustrations empreintes d’horreur de la main de William Blake.

De manière presque incroyable, la correspondance de Coffy survécut au sein des Archives nationales. Et grâce à cette découverte extraordinaire, nous sommes maintenant pour la première fois en mesure de lire ses propos couchés par écrit.

Cet événement a une importance qui va bien au-delà des seuls Pays-Bas. La révolte des esclaves de Berbice en 1763 était directement liée aux grands événements mondiaux. C’était une première absolue dans l’histoire des Amériques –trois ans avant la Révolution américaine de 1766 et vingt-huit avant la grande révolte des esclaves menée par Toussaint l’Ouverture en 1791. Cette dernière conduisit à la liberté et à l’indépendance d’Haïti.

Comme l’écrivit dans son Histoire des deux Indes l’abbé Raynal, un contemporain de Coffy, il s’en fallut de peu pour que la révolte des esclaves à Berbice eût un impact dévastateur pour les Amériques dans leur ensemble. En tout cas, les esclaves noirs vaincus ne furent pas pour autant éliminés, et les graines de la libération furent bel et bien semées. Et comme Raynal l’avait prophétisé: le jour viendra où une forte tête noire se lèvera, un Spartacus noir, qui vengera sa nation, traitée avec tant de barbarie par ses maîtres néerlandais.

En Haïti, Toussaint l’Ouverture avait le livre de Raynal dans sa bibliothèque, et lorsqu’en 1796 il fit son entrée victorieuse dans la capitale, il fut présenté à son peuple comme «le Spartacus noir annoncé par Raynal.»

Le combat pour la liberté avait toutefois commencé bien avant. Si, aujourd’hui, 1863 constitue la date habituelle pour commémorer la fin de l’esclavage dans l’empire colonial néerlandais, la révolte des esclaves de Berbice eut lieu un siècle plus tôt déjà, comme le montrent clairement les documents conservés dans les Archives nationales. Et ce fut Coffy qui ouvrit la voie.

Site web des Archives nationales des Pays-Bas

Reinier Salverda

Reinier Salverda

Professeur émérite au Département de langue et littérature néerlandaise au University College de Londres (UCL)

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