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Lille cherche avec Lille3000 son Eldorado

Par Bart Noels, traduit par Michel Perquy
13 juin 2019 6 min. temps de lecture Sans bornes

Depuis l’année culturelle 2004, la région de Lille a instauré la tradition d’organiser tous les trois ans un grand festival culturel. En choisissant le thème « Eldorado », Lille3000 s’adresse de nouveau à l’art et à l’imagination comme rassembleurs. Pourtant, ce n’est pas du goût de tout le monde. Cette édition suscite certaines critiques. Lille3000, un instrument de marketing ou un acteur culturel rassembleur sincère ?

Depuis un certain temps déjà, la culture et le développement urbain avancent volontiers main dans la main dans la métropole. La transformation vécue par la région depuis les années quatre-vingt-dix est allée de pair avec d’importants investissements dans la culture. L’image d’une région industrielle d’une morosité grisâtre s’est vue contrée par l’arrivée de Le Fresnoy à Tourcoing (1997), la restauration du Palais des Beaux-Arts à Lille (1997) ou encore la reconversion d’une ancienne piscine en musée La Piscine à Roubaix (2001). L’année culturelle 2004 a été alors la cerise sur le gâteau. En fait, une chance compensant une malchance, car à l’origine, Lille avait introduit sa candidature pour accueillir les Jeux olympiques de cette année-là. Cette candidature ayant échoué, on changea le fusil d’épaule pour cibler le titre de capitale européenne de la culture. Lille remporta ce titre et cela résulta sur-le-champ en une série d’investissements.

Suite au succès de cette année culturelle, les responsables politiques comprirent encore mieux que la culture célèbre, encourage ou accompagne la rénovation urbaine, tout comme le sport est capable de le faire. Quatre ans après l’année culturelle, Lille3000 organisa un premier festival, dans l’idée et avec l’ambition de répéter cette initiative. D’ailleurs, en ce qui concerne le sport : la métropole pourra accueillir en 2024 du moins une partie des Jeux olympiques. En partenariat avec la ville de Paris, ville d’accueil de cette édition des Jeux, le stade Pierre Mauroy sera en effet le théâtre de quelques matchs du tournoi de football.

En ces quinze dernières années, Lille3000 a quelques festivals inoubliables à son actif. La recette en est à chaque fois : un début en fanfare avec une grande parade pour petits et grands, une fête d’ouverture qui fait surtout appel aux associations et aux amateurs de la ville même. Une série de grandes expositions, de nombreuses grandes installations parsemeés dans la ville et un réseau d’initiatives venant se greffer sur le terreau culturel et les dynamiques existantes. Lille3000 s’est aussi progressivement étendu à toute la métropole. Un autre ingrédient du succès est sans aucun doute le côté surprenant des thèmes : l’Inde avec « Bombaysers de Lille » (2006), « Europe XXL » (2009), « Fantastic » (2012) et « Renaissance » (2015).

La gare Saint-Sauveur, une ancienne gare de marchandises en bordure du centre-ville, a été transformée entre les grands festivals en relais permanent pour Lille3000 grâce à l’installation d’un café de quartier, d’un grand espace d’exposition avec une succession d’expositions toujours gratuites et un grand patio où il se passe toujours quelque chose. La recette prévoit aussi toujours d’abaisser ou de supprimer les seuils en combinant les arts avec la récréation ou le sport. Et aussi de réunir ensemble les amateurs et les professionnels.

Accueillir le monde entier

Avec « Eldorado », Lille3000 prend de nouveau l’option d’un thème exotique. Le festival donne un coup de projecteur sur le Mexique et l’art mexicain. Ce n’est par hasard que Mexico City sera tout comme Lille World Capital of Design en 2020. Eldorado présente l’art et le patrimoine populaire du Mexique et se réfère évidemment aussi à la quête de la terre promise, au rêve capable de mobiliser les gens.

Au-delà des paillettes et des couleurs vives des affiches et des images partout dans les rues se cache donc aussi un élan pour accueillir le monde à Lille, et pour participer au débat de société concernant les réfugiés, les richesses et la migration. Début mai, la parade d’ouverture de Lille3000 a attiré pas moins de 350 000 personnes. Ce n’est plus le demi-million de la fête d’ouverture de l’année culturelle 2004, mais cela suffit pour prouver que Lille3000 continue à exercer une très grande force de mobilisation.

Jusqu’au début de décembre, il y a des tas d’activités culturelles partout dans la ville. L’activité porte-drapeau se déroule au Tripostal près d’Euralille : l’exposition « Eldorado » présente des œuvres plastiques et des installations sur le thème du Mexique, la quête d’une vie meilleure, la quête de la fortune et du bonheur. La gare Saint-Sauveur propose de son côté l’exposition « The Green Goddess » qui rallie l’art à la nature, et le Palais des Beaux-Arts lillois présente « Golden Room ». Il y a aussi du « street art » avec beaucoup de graffitis et des installations dans les rues sous le titre « Métamorphoses ». Presque tous les musées de la région rejoignent l’initiative avec des expositions temporaires. Naturellement, on peut aussi se rendre aux Maisons Folies, les maisons conçues en 2004 comme centres culturels des quartiers. Le programme imprimé de Lille3000 est finalement un gros catalogue de sorte qu’on s’y retrouve sans doute le plus facilement par le biais du site web.

Exotisme sans risque ou débat de société ?

Lille3000 est devenu au fil des ans une véritable institution dans la région lilloise. Si c’est encore toujours la ville qui tire les ficelles de l’organisation, elle fait en même temps en sorte que tout le monde dans la région puisse y prendre plaisir. L’organisation essuie d’autre part quelques critiques. De l’avis de certains opposants, Lille3000 est encore trop une chasse gardée de Martine Aubry. Un rapport récent de la cour des comptes régionale s’interroge aussi sur la fiabilité des estimations budgétaires, sur le non chiffrage du soutien logistique de la ville et sur le manque de transparence des rémunérations accordées à la direction. On y note aussi que les retombées économiques pour la ville ont peut-être été surestimées.

Au sein du secteur culturel, l’on n’est pas toujours d’accord non plus sur ce que fait Lille3000. Représentant la société civile culturelle, Thomas Werquin reproche dans une lettre ouverte adressée à la ville sur le site d’actualité Mediacité de choisir un exotisme sans risque, alors qu’il y aurait beaucoup à faire dans le domaine artistique à partir des racines des gens vivant et habitant dans la métropole même. L’adjointe au maire Marion Gautier, responsable de la culture, réagit furieusement. Selon elle, « Eldorado » concerne précisément les racines et le débat de société sur l’inégalité, le climat, la migration et la globalisation que Lille3000 cherche à mettre précisément au cœur des débats.

Une longue rangée d’alejibres bariolés – des sculptures mexicaines hautes en couleurs – décore en ce moment la rue Faidherbe, la rue entre la gare Lille-Flandres et l’Opéra. En face de ces sculptures traînent des rangées de mendiants. Le contraste est frappant.

Les moyens accordés à Lille3000 constituent un autre sujet de critique. L’organisation engloutit évidemment des moyens voués à la culture. La ville consacre annuellement entre 2,3 et 3,2 millions d’euros à Lille3000. La MEL y ajoute entre 600 000 et 900 000 euros et depuis 2017, les Hauts‑de‑France contribuent aussi à hauteur d’un million d’euros. Un tiers des revenus vient aussi du secteur privé, ce qui se voit à la longue liste de logos dans les publications.

Tout cet argent ne contribue pas aux petites pratiques culturelles quotidiennes, prétendent les petits acteurs du secteur culturel. « Elnorpadcado »
est leur anti-festival avec e.a. un « beffroi », une sculpture faisant un gros bras d’honneur en direction de la mairie de Lille. Il est installé sur une butte au milieu d’un terrain vague près de Saint-Sauveur, un site où la ville prévoit un immense projet immobilier. Qui n’est ni social ni écologique, estiment les activistes.

Bart-noels

Bart Noels

journaliste freelance et initiateur du projet francobelge.news

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