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Abby, le nouveau musée de Courtrai, a pour mot d’ordre l’accessibilité

Par Bart Van der Straeten, traduit par Caroline Coppens
6 juin 2025 7 min. temps de lecture En mode musée

Avec Abby, les Plats Pays disposent d’un musée non seulement flambant neuf, mais aussi incontournable. Là où l’histoire a érigé des cloisons, le musée de Courtrai les abat: finies les distinctions entre artistes professionnels et amateurs, entre œuvres d’art et objets utilitaires… Abby touche le cœur, la tête et les mains de ses visiteurs.

Blaffus et Waffus sont les noms des squelettes de chiens qui accueillent les visiteurs dans le hall d’entrée d’Abby, le nouveau musée d’arts plastiques et du patrimoine de Courtrai. Ils remontent à l’époque romaine et ont été trouvés dans le puits situé sur le magnifique terrain de l’abbaye de Groeninge, où se trouve le musée.

Le public avait été mis à contribution pour leur trouver un nom. Depuis l’ouverture du musée le 30 mars 2025, ces animaux accueillent le public à l’entrée, où ils font office de gardiens et de mascottes. Ils illustrent la manière dont ce nouveau musée veut traiter les objets patrimoniaux et les œuvres d’art: non pas comme des produits élitistes dont seul un public vénérable peut déchiffrer la signification, mais comme des invitations stimulantes qui touchent le cœur, la tête, voire les mains des visiteurs, jeunes et moins jeunes.

Le mot d’ordre? Accessibilité. Dès le parc, à l’extérieur des murs du musée, on peut voir une figure agenouillée de George Minne et une grande fleur que l’on peut illuminer en appuyant sur un bouton, une œuvre de Daan Gielis que les visiteurs et les passants ne demandent qu’à actionner.

Tout aussi abordable est le «salon urbain», une partie du musée en libre accès qui sera décorée tous les deux ans par un artiste différent pour servir d’espace de jeu, de repos et de détente. Rinus Van de Velde est le premier artiste à avoir pu s’y donner à cœur joie. Il a fabriqué lui-même tous les meubles et les fausses plantes d’intérieur qui s’y trouvent. On peut venir s’y détendre, y traîner, y lire ou y papoter toute la journée. Dans la vitrine adossée au mur nord, Van de Velde présente une sélection de la vaste collection patrimoniale et artistique de la ville de Courtrai. Dans le «journal de la collection» La ReCollection, qui traîne çà et là, cette sélection est expliquée de manière ludique.

Multicouche et fluctuante

La mission d’Abby était de créer un musée autour du thème de «l’identité». Les initiateurs voulaient avant tout montrer qu’il n’existe pas d’identité stable et fixe: les identités sont au contraire multicouches, dynamiques et fluctuantes. Et c’est exactement ce que fait l’exposition d’ouverture F**klore –le titre indique l’ambiguïté entre folklore et fucklore– en montrant comment les artistes contemporains répètent, retravaillent ou rejettent d’anciennes traditions.

Prenons l’œuvre de Małgorzata Mirga-Tas, une artiste et activiste rom polonaise qui travaille avec des textiles. Abby lui a demandé de créer une œuvre à partir d’un objet de la collection du musée. En 1896, Edward Messeyne crééait un dessin au pastel intitulé «Cartomancienne» représentant celle-ci de manière stéréotypée sous les traits d’une jeune gitane. Avec sa peau foncée et son foulard, elle incarne la vision occidentale que Messeyne a de l’Autre, mystérieux et exotique. Mirga-Tas fait écho à ce tableau avec un paravent: un objet qui avait sa place dans les salons bourgeois de l’époque de Messeyne.

Le cadre en bois du paravent en trois parties est entièrement recouvert d’un collage textile représentant trois femmes de générations différentes jouant confortablement aux cartes autour d’une table. Baśiawen ando karti, comme est intitulée l’œuvre, a remplacé l’association stéréotypée des Roms avec la cartomancie par une scène chaleureuse et universelle sur une communauté intergénérationnelle –et ce dans une matière historiquement très liée à Courtrai et à la région de la Lys: le textile. Les deux œuvres se côtoient fraternellement dans F**klore; les visiteurs peuvent découvrir par eux-mêmes comment elles se font écho –ou s’opposent l’une à l’autre.

Ailleurs aussi, la séparation entre les techniques artistiques anciennes et contemporaines s’estompe. Le jeune artiste Thomas Renwart, par exemple, aime utiliser le support éminemment flamand de la tapisserie pour raconter ses propres souvenirs, tandis que Filip van Dingenen & David Shongo déplacent au Congo des éléments de la tradition flamande du concours de pinsons, ce qui donne lieu à une vidéo remarquable.

Les initiateurs d’Abby voulaient avant tout montrer qu’il n’existe pas d’identité stable et fixe

Même là où l’histoire et la compartimentation ont érigé des cloisons, Abby les fait tomber. Celles entre œuvre d’art et objet utilitaire, par exemple – voyez les deux balais de René Heyvaert ou la bouilloire de Joseph Willaert ornée d’une scène de salon typiquement flamande. La distinction entre artistes professionnels et amateurs est ignorée tout aussi allègrement.

Dans l’Abby Café, par exemple, vous trouverez des œuvres de Laurent Geers, pâtissier à la retraite qui, dans «Tijdcapsule» (Capsule temporelle), a sculpté des copies méticuleuses de… viandes fines –en marbre (!), l’un des matériaux les plus nobles. Quant au carrousel de la salle B, il est l’œuvre de Georges Counasse, un artiste liégeois décédé en 2025, qui l’a bricolé de ses propres mains, lui qui aurait été qualifié d’ «artiste outsider» ou naïf dans de nombreux musées. Pas à Abby, où il est un artiste parmi les artistes. Ce qui est encore plus frappant, c’est que certaines œuvres sont accompagnées de séquences audio sur lesquels l’artiste lui-même ou le collectionneur qui la possède en dit un peu plus sur l’œuvre en question.

F**klore est répartie dans les trois espaces d’exposition du musée. Au rez-de-chaussée, l’ancienne chapelle a été transformée en un magnifique espace sacré grâce à des rideaux translucides à hauteur de plafond qui laissent entrer une lumière tamisée. Les deux espaces d’exposition souterrains sont des rectangles blancs dans lesquels les œuvres elles-mêmes sont parfaitement mises en valeur et peuvent dialoguer entre elles.

Un exploit

Le célèbre studio d’architectes barcelonais Barozzi Veiga, qui a supervisé la construction, a réussi un exploit: les deux salles d’exposition ont été construites sous la chapelle existante qui, pendant les travaux, est restée suspendue au-dessus du puits de construction grâce à deux épaisses poutres transversales en acier –un spectacle déjà gravé dans la mémoire de nombreux Courtraisiens. Par ailleurs, ce studio a ramené les bâtiments historiques à leur plus simple expression, a ouvert le site sur tous les côtés et a opté pour un seul nouveau bâtiment en forme de A, dont la silhouette se retrouve dans le A du logo d’Abby. Deux mois à peine après son ouverture, lors de la Semaine des Musées belges, le site d’Abby a été élu bâtiment muséal de l’année.

Le nouvel édifice abrite l’Abby Café, un espace rouge de 12 mètres de haut, avec une longue table au centre, comme dans les monastères d’autrefois, et un espace ouvert réunissant bar et cuisine. Le menu varie en fonction des expositions –actuellement, dans l’esprit de F**klore, ce sont des versions contemporaines de classiques de la cuisine flamande qui sont au menu.

Si Abby est un musée – après tout, le doute est possible lorsque l’on se trouve dans le café ou que l’on visite le «salon urbain»–, c’est un musée qui a le pouvoir de modifier en profondeur nos attentes quant à ce qu’est un musée. Ce n’est pas la collection ou le bâtiment qui est à la base d’Abby, mais le programme: il se veut un musée d’art pour aujourd’hui, en actualisant de manière vivante une collection existante et en la rendant facile d’accès. Ce programme se manifeste bien sûr dans les expositions, mais aussi dans tous les autres éléments avec lesquels le musée se présente, donc aussi dans le bâtiment lui-même, dans les heures d’ouverture, les publications de la collection, le matériel éducatif (un jeu de mémo qui incite à la réflexion), le design, le merchandising, etc.

Abby offre la même expérience totale au connaisseur qui souhaite en savoir plus sur les œuvres et les époques qu’à l’étudiant qui vient profiter du salon, à l’enseignante qui suit un cours de yoga dans l’atelier, au couple de personnes âgées qui déjeune au café ou au simple passant qui se promène dans le parc du Béguinage. Autant d’entrées vers l’art et le patrimoine qui permettent à chacun d’y trouver son compte.

Quiconque suit un peu le monde de l’art sait que des notions telles que l’expérience, la participation, l’inclusion, l’accessibilité, la polyphonie et le dépassement des limites sont devenues si omniprésentes, même pour les gouvernements toujours plus démunis, qu’elles doivent être abordées avec prudence et sens critique. Abby Kortrijk montre avec F**klore en pratique et sans discours moralisateur ce qu’elles peuvent signifier dans le meilleur des cas.

Susciter l’émerveillement et questionner: n’est-ce pas justement la mission d’un musée contemporain? Cinq ans après l’ouverture du «Forum des sciences, du doute et de l’art» qu’est le GUM (Musée de l’université de Gand), qui a remporté l’Ultima pour le patrimoine mobilier et immatériel en 2024, les Plats Pays disposent d’un nouveau lieu incontournable. Le défi est désormais de permettre aussi à l’art moins grand public (abstraction pure, minimalisme…) d’entrer dans un dialogue tout aussi attractif avec la collection. Le choix d’une présentation thématique offre des possibilités à cet égard.

L’exposition inaugurale F**klore est visible jusqu’au 13 septembre 2025.
Bart van der Straeten

Bart Van der Straeten

poète - lecteur - critique
www.deschrijfarbeider.be

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