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littérature

Écorchée brute: une jeune femme devient meurtrière

Par Valerie Tack, traduit par Noëlle Michel
10 juin 2020 4 min. temps de lecture La première fois

Dans Rauw & alsof (Écorchée brute), Valerie Tack dévoile comment une jeune femme, marquée par la vie, se transforme lentement mais sûrement en une meurtrière de sang-froid. Elle le fait si habilement que vous ressentez de la compassion et de la compréhension pour son acte.

À l’aide

Il ne gît plus sur la chaussée, où je l’ai laissé voilà une dizaine de minutes, mais un peu plus loin, avachi au pied du mur contre lequel il m’a plaquée brutalement, plus tôt dans la soirée. Il a dû se traîner jusque-là, il y a des traces de sang. Il tient un bras serré contre son ventre, comme pour étancher les plaies, mais elles sont trop nombreuses, l’autre bras est étendu le long du corps, la paume tournée vers le haut. Un passant pourrait y déposer quelques pièces, mais personne ne passe par ici. Sa chemise est trempée. Sa peau, glacée. Si je n’agis pas rapidement, il va se vider de son sang, ici dans cette rue, contre ce mur, alors que je ne suis pas du tout sûre que ce soit ce que je veux.

«À l’aide, murmure-t-il, pitié!»

Sa voix se brise, j’effleure ses cheveux. J’essaie de l’apaiser. Je serre sa main froide et lui caresse l’intérieur du bras du bout des doigts. Je ne crois pas qu’il m’ait reconnue.

«Les secours arrivent, dis-je, ils seront bientôt là.»

Avec son portable, j’appelle une ambulance. Je donne l’adresse et décris l’état dans lequel il se trouve. «Il respire encore, mais il y a du sang, du sang partout. Une agression, je crois.»

«Dépêchez-vous, dis-je encore. Il est vraiment mal en point.»

Je glisse son portable dans ma poche. Ensuite, je lui prends sa montre, et aussi son portefeuille, que j’extrais de la poche intérieure de sa veste. Puis je l’abandonne à nouveau. Définitivement, cette fois.

Freddie

Mon père me fixe de la même façon, depuis la mort de Freddie.

Son regard me traverse. Comme si je n’existais pas.

Nous sommes à table et mon petit frère demande si nous allons avoir un nouveau chien.

«Peut-être, dit ma mère, mais pas tout de suite.» Elle sert à chacun une paupiette en nous pressant, mon père y compris, de manger suffisamment de légumes.

Je regarde mon père. À la dérobée. Avec prudence. Je ne veux pas le provoquer.

«Il n’y aura pas de nouveau chien», dit-il en haussant le ton avant de taper du poing sur la table.

Pendant la vaisselle, tandis que papa regarde le journal télévisé et que mon frère se penche pour la énième fois sur ses devoirs en soupirant et maugréant, maman me chuchote que Freddie manque à mon père. Que lui aussi a de la peine. Qu’il faut du temps. Que le chagrin finit toujours par passer. Que ce n’était pas ma faute, papa le sait bien, et que j’aurai sans doute bientôt un nouveau chien.

«Je ne veux pas de nouveau chien, dis-je. Je veux Freddie!» Je laisse tomber le torchon et je sors de la maison en courant, en direction de l’enclos. La barrière est ouverte. À gauche de la niche que mon père a construite de ses mains traînent deux jouets déchiquetés. Un os en plastique vert et une balle en caoutchouc rouge. Je m’assois sur le béton froid, je tends la main vers les jouets et j’observe la ferme à travers le grillage. D’ici, elle semble pleine de promesses. Comme un paradis, un lieu riche en surprises et en possibilités. Une illusion d’optique. Je pense à la courte vie de Freddie, qu’il a en grande partie passée ici. Dans cet enclos de deux mètres sur trois. Je lance les jouets dans un coin, je me relève d’un bond et me mets à donner des coups de pied contre le grillage.

Soudain, mon père est là. Il est sans doute parti chercher une de ses bouteilles. Il passe sa main à travers le grillage et la pose sur ma tête.

Il dit: «Doucement, sœurette.»

Et puis il me raconte des choses que je ne savais pas. Que, lorsque j’étais à l’école, il emmenait souvent Freddie avec lui, à l’étable et au champ. Et même sur le tracteur. Et que maman et lui faisaient rentrer Freddie quelques instants dans la cuisine le midi, qu’ils lui donnaient les restes du déjeuner. Je ne peux retenir mes larmes, parce que je ne comprends pas pourquoi papa est parfois si gentil et parfois si horriblement cruel.

Extraits du roman Rauw & alsof (Écorchée brute), Houtekiet, Anvers, 2020, pp. 11-12 et 113-114.
Tack valerie

Valerie Tack

écrivaine

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