Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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«Een bepaalde dag in het leven van iedereen» de Stijn Vranken: une joyeuse histoire du monde
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compte rendu La première fois
Littérature

«Een bepaalde dag in het leven van iedereen» de Stijn Vranken: une joyeuse histoire du monde

Vous rappelez-vous ce que vous faisiez le 14 février 1990? Probablement pas. Stijn Vranken, lui, s’en souvient très bien, et il a écrit là-dessus un roman vraiment très amusant.

La Saint-Valentin 1990 n’était pas un jour comme les autres. Du moins pas dans la vie de Stijn Vranken, qu’il ne faut d’ailleurs pas confondre avec son homonyme, performer de poésie et ancien poète de la Ville d’Anvers. Notre homme est pour sa part réalisateur d’émissions télévisées pour la maison de production indépendante flamande Woestijnvis, et il sait tout sur ce fameux 14 février 1990. C’est du moins ce qu’il veut nous faire croire.

Un peu intello sur les bords, Vranken commence Een bepaalde dag in het leven van iedereen (Un certain jour dans la vie de chacun) par un court prologue sur Voyager, la sonde spatiale inhabitée, partie avec un disque d’or à son bord, qui en ce fameux 14 février 1990 atteint les confins de notre système solaire. Imaginé par l’astronome Carl Sagan, ce disque d’or contient des messages destinés aux éventuels extraterrestres qui rencontreraient la sonde Voyager et auraient par hasard un tourne-disque à portée de main. Il s’agit d’une sorte de compilation, réalisée toutefois pour des inconnus, plutôt que pour un∙e bien-aimé∙e. Le 14 février 1990 est également le jour où Voyager 1 renvoie au camp de base une magnifique photo de la Terre, qui restera dans l’histoire comme «le point bleu pâle».

Ce premier roman pourrait d’ailleurs être décrit ainsi, comme un cliché instantané de la Terre en ce jour bien particulier, mais avec d’autres sons jouant un rôle important dans la vie du jeune Vranken lui-même. Car, 14 février oblige, il n’est pas seulement question d’astronomie, mais aussi d’amour. Tout à la fin du livre, Vranken raconte l’épisode où, adolescent armé d’une cassette sur laquelle il a enregistré chansons et mots doux, il tente de s’introduire dans l’internat dirigé par des sœurs, où est enfermée sa petite copine. Il narre avec verve et humour sa tentative d’effraction, et le lecteur se retrouve fervent supporter de ce gamin débrouillard à qui l’amour donne des ailes, espérant qu’en récompense de tant de courage et d’inventivité, il aura droit à un baiser de son amoureuse. Nous vous laissons naturellement le plaisir de la surprise.

Avant d’arriver à ce grand finale, nous avons d’abord l’occasion de vivre cette journée dans la vie de quelques autres personnes: un collaborateur du cabinet de l’ex-ministre de l’Environnement Theo Kelchtermans, qui tente d’attirer l’attention d’une ancienne flamme; un employé du groupe français Perrier accusé à tort de négligence; un magnat de l’immobilier dénommé Donald Trump; Anthony Kiedis, le chanteur des Red Hot Chili Peppers, et quelques autres encore, allant de riches Indiens à une diseuse de bonne aventure à Tonga, en passant par des révolutionnaires colombiens ou des explorateurs polaires se chamaillant en Antarctique.

Vranken décrit leurs 14 (et 15) février 1990 dans des chapitres distincts, bien que leurs histoires se recoupent d’une manière ou d’une autre. Certains thèmes sont récurrents, comme les bouteilles de Perrier contaminées au benzène nécessitant un retrait du marché mondial. On pense à l’histoire du papillon qui bat des ailes au Brésil et provoque, des mois plus tard, une tornade au Texas: des rencontres et incidents en apparence insignifiants ont un impact majeur sur les protagonistes du chapitre concerné, mais aussi sur ceux d’autres chapitres.

La façon dont Stijn Vranken fait s’enchaîner ces histoires est souvent astucieuse, bien que de temps en temps un peu prévisible. Néanmoins, sa langue swingue et bouillonne. Il se dégage de son écriture un véritable plaisir de conteur, ainsi qu’un humour qui n’est pas sans rappeler Herman Brusselmans, mais sans le côté scabreux. On sent parfois venir une blague à des kilomètres, mais le fait qu’elle arrive tout de même, vaillamment, renforce souvent l’effet comique. L’efficacité variable de l’humour est évidemment inévitable dans un livre de cette ampleur, mais c’est aussi bien sûr affaire de goût personnel. J’imagine sans peine qu’un lecteur adore, tandis qu’un autre décroche, lassé par la répétition.

Il ne faut pas chercher chez Vranken de grande profondeur philosophique, à l’exception d’une réflexion unique et quelque peu clichée sur la Saint-Valentin. Mais Vranken n’a aucune prétention ni aucun message particulier à faire passer. En revanche, il a plié l’histoire du monde à sa volonté, est parvenu à enchevêtrer les événements de la vie d’une dizaine de personnes et, fort de ces ingrédients, nous a concocté un livre plus que divertissant. Dépêtrer le vrai du faux n’est pas le propos ici; l’un des protagonistes de ce livre n’a pas créé en vain le terme de «faits alternatifs», même s’il était alors président des États-Unis et non plus seulement le magnat de l’immobilier grossier et vaniteux qu’il est encore dans ce roman.

Stijn Vranken, Een bepaalde dag in het leven van iedereen, Pelckmans, 2022.

14 février 1990 - le collaborateur de cabinet

Le collaborateur de cabinet transpire. Il a l’air plus nerveux que le ministre lui-même. Car aujourd’hui, c’est le jour J. La conférence de presse est prévue à deux heures. Pas trop tard, de sorte que les journalistes de la télévision puissent préparer leur sujet pour les actualités de sept heures ou sept heures et demie, selon la chaîne. Mais pas trop tôt non plus, de sorte que même les moins motivés des journalistes de la presse écrite aient le temps de dormir tranquillement, de boire quelques cafés, peut-être d’écrire quelques lignes, de grignoter un bout et de prendre le train pour Bruxelles, ou la voiture. Deux heures est une heure idéale pour une conférence de presse. Tout le monde était d’accord là-dessus au cabinet de l’Environnement, de la Conservation de la nature et de la Rénovation rurale. Encore quarante-deux minutes.

La table est prête. Quelqu’un a décidé de la recouvrir d’une longue nappe blanche dont le bord descend presque à ras de la moquette. Le blanc est symbole de pureté. D’honnêteté. Même si la raison pour laquelle on a opté pour une nappe blanche est sans doute plus banale. Parce que les nappes blanches sont les seules disponibles, par exemple, dans la petite salle de presse du cabinet, somme toute pas très conviviale. Le tissu présente de vagues traces circulaires de café renversé à une autre époque. Une métaphore adéquate, se dit le collaborateur de cabinet en remarquant les taches. Il fait cependant remplacer la nappe par une autre plus immaculée. Car une métaphore adéquate n’a jamais préservé personne d’une remontrance de son ministre.

Derrière la table se trouvent quatre chaises. Quatre. Au départ, il n’y en avait que trois. Mais le collaborateur de cabinet estimait avoir au moins le droit, lui aussi, d’apparaître à l’écran. Pour le coup, il avait insisté. Au grand étonnement de ses collègues, car en général, il n’était pas du genre à insister pour quoi que ce soit. Mais c’est lui, en fin de compte, qui a sorti l’essentiel du tout nouveau plan de son Olivetti ET Personal 55. C’est lui, et de loin, qui a fourni le plus gros du travail. Et donc, Johnny, le chef de cabinet, a cédé. «Ok, j’ai compris. Tu veux apparaître à l’écran pour que ta petite femme puisse voir de ses propres yeux que toutes ces heures supp’ n’ont pas servi à rien. Mais tu te tais, alors, d’accord? Tu nous laisses mener la discussion.»

Et donc on a ajouté une quatrième chaise, sur laquelle le collaborateur de cabinet a aussitôt pu s’asseoir en silence. C’est Johnny qui introduira la conférence de presse. Ensuite, le ministre prendra la parole. Après quoi Johnny demandera s’il y a encore des questions, auxquelles alors le ministre répondra. Et s’il ne connaît pas la réponse précise, le ministre improvisera quelque chose censé dissimuler aux journalistes présents qu’il ne connaît pas la réponse précise. Le ministre est très fort pour cela. Et il le faut, car même un ministre ne peut pas tout savoir. Pour vous dire, le plan qu’il doit présenter aujourd’hui compte près de mille pages de tableaux, de calculs, d’explications, d’hypothèses, de conclusions, d’intentions et de mesures. Cela dit, jamais le ministre n’avouera: «Oh, ça, je ne sais pas. Pour répondre à cette question, je cède volontiers la parole à mon collaborateur, car c’est lui, en fin de compte, qui a tout calculé et recalculé; il connaît mieux ces graphiques que sa propre femme.» Et heureusement. Car le collaborateur de cabinet bafouillerait, bégayerait, trébucherait sur les mots. Chacun son métier.

Son métier. En attendant, cela fait plus de quinze ans qu’il est collaborateur de cabinet. Toujours à l’Environnement ou à l’Aménagement du territoire. Ainsi, il contribue malgré tout à améliorer le monde, même s’il a dû pour cela se tortiller pour rentrer dans les cases «professionnel», «bûcheur» et «ponctuel». Mais que voulez-vous? Il était trop malin pour rester un hippie toute sa vie. Trop malléable. Trop conformiste. Et donc –cela se fit de manière automatique, sans l’avoir programmé– il s’était tout à coup retrouvé dans un emploi stable. Ainsi va la vie. D’abord à moitié voyou, vous protestez corps et âme contre le Système. Vous êtes un ardent défenseur de la Liberté. Et peu de temps après, vous réglez votre réveil à six heures et demie, histoire de ne surtout pas risquer de réprimande pour être arrivé une minute en retard au travail.

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