En Flandre et aux Pays-Bas, on parle des dizaines de variantes régionales et locales du néerlandais. Si derrière ces langues se cachent des mots rares, des sons anciens et des formes archaïques, les dialectes sont loin de s’être fossilisés. Des millions de locuteurs et des centaines de spécialistes et de bénévoles s’emploient à les maintenir bien vivants.
Aux Pays-Bas et en Flandre le néerlandais a beau être la langue standard, on y parle aussi une étonnante quantité de dialectes locaux et de variantes régionales. Dans leur forme actuelle, de nombreux dialectes sont soumis à des pressions, mais c’est justement pour cette raison qu’ils sont très appréciés. En effet, les dialectes touchent à la question sensible de l’identité, à ce que sont, par essence, de nombreux locuteurs: il suffit de voir comment les moindres différences de sonorité ou de vocabulaire donnent lieu à discussions entre des citoyens vivant à deux pas les uns des autres, ou comment les langues régionales apparaissent dans les séries télé, sont jouées et chantées. Ou encore, comment les dialectes, en tant que véhicules de la domesticité et de l’appartenance géographique, mettent infailliblement en mots ce qui semble si souvent indicible en langue standard. Oewist? (Comment va?) dans le Westhoek belge ou enne? dans le Limbourg néerlandais, sonnent simplement plus décontractés que hoe gaat het? ou alles goed? (Comment allez-vous?, Tout va bien?)
Les dialectes des Plats Pays font partie du continuum des dialectes continentaux et germaniques occidentaux. À travers des dizaines d’isoglosses ou de lignes de démarcation dialectales d’ouest en est, le néerlandais glisse vers l’allemand, et vice versa. Comme l’explique le dialectologue Jacques Van Keymeulen: «L’allemand commence à la Groenplaats d’Anvers. En effet, un locuteur anversois dira Gruunplaats, avec le son u ou l’umlaut à l’allemande, et non Groenplaats, avec le oe («ou») plus occidental».
Jacques Van Keymeulen, professeur émérite à l'UGent: Nous ne percevons plus les dialectes comme une menace au néerlandais, et c'est déjà une bonne choseDR
Il existe bien d’autres phénomènes curieux. Prenons les consonnes s et k, qui forment ensemble la séquence sk. Cette variante du son sch –avec skole ou skool au lieu de school, école– fait son apparition dans les régions flamandes de Courtrai, de Grammont et dans le sud du Hageland, dans le Brabant, mais elle est également courante en frison, aux Pays-Bas, et plus au nord, en Scandinavie. «Les zones géographiquement dispersées où l’on trouve la combinaison sk sont indicatrices d’un massif linguistique désintégré, d’une zone contiguë qui a été interrompue mais dont des vestiges ont survécu ici et là», explique Van Keymeulen. «Contrairement à ce que beaucoup pensent, les dialectes ne sont donc pas une corruption de la langue standard, mais des variantes plus anciennes qui portent des traces archaïques. Si on veut étudier l’histoire du néerlandais, on ne peut pas faire l’impasse sur les dialectes.»
Pendant des décennies, le professeur émérite Jacques Van Keymeulen, dont la langue maternelle est le wichels, le dialecte de Wichelen en Flandre-Orientale, a mené des recherches à l’UGent. C’est là qu’il a cofondé le Dialectloket, une base de données remplie d’enregistrements sonores d’hier et d’aujourd’hui. Un projet auquel a également contribué l’Institut Meertens, qui se charge des variations linguistiques aux Pays-Bas.
Jacques Van Keymeulen. Les dialectes ne sont donc pas une corruption de la langue standard, mais des variantes plus anciennes qui portent des traces archaïques
Un coup d’œil sur la carte suffit: en néerlandophonie les variations locales et régionales sont tout simplement stupéfiantes. Si les Flamands connaissent encore un peu tout ce qui se situe entre le flamand occidental, au bord de la mer du Nord, et le limbourgeois, au nord-est de la Belgique, la carte des langues est bien plus riche. Aux Pays-Bas, outre plusieurs variétés de limbourgeois, on parle le brabançon du nord-ouest et du nord-est, le rivierenlandais, le nimèguois, les langues de la Veluwe occidentale et orientale, le sallandais et le stellingwerfs, le zaans, le waterlandais, le kennemerlandais, le westerwolds, le veenkoloniaals, le drenthois, l’eemlandais, l’utrechtois et l’alblasserwaards –une sélection libre parmi une longue série de langues.
Toutes des langues? Toutes des langues régionales? Tous des dialectes? Les non-initiés évoqueront, non sans raison, une confusion babélique. Et Van Keymeulen, qui est également l’inspirateur de Variaties (Variations), une association qui chapeaute les dialectes et le patrimoine oral en Flandre et à Bruxelles, d’expliquer: «au sein d’un continuum dialectal, il est difficile de distinguer une langue d’un dialecte. Au cours de l’histoire, des unités géopolitiques sont apparues dans ces continuums, où les dialectes pouvaient devenir des langues standard. Une langue standard est donc un dialecte qui, suite à des choix politico-linguistiques et par la volonté d’une communauté, a été élevé au rang de norme». Ou comme on nous l’a enseigné à l’école: «une langue est un dialecte avec une armée et une flotte.»
Les langues du Westhoek
Une région dont la langue n’a jamais possédé d’armées ou de flottes est le Westhoek, déjà mentionné, où la côte belge déborde sur la France et les polders sur la Flandre française. «C’est une région agricole, avec de petits villages, peu d’industrie et pas d’université. Nous sommes loin de tout et donc, dans l’ensemble, ici le dialecte résiste encore», explique Walter Winnock, de l’association dialectale Bachtn de Kuupe (1), affiliée à Variations.
Walter Winnock: Comme nous sommes loin de tout ici dans le Westhoek, dans l'ensemble, le dialecte résiste encoreDR
Accueillis chez Walter Winnock, à Furnes, où nous avons pris place dans ce qui semble être une véritable bibliothèque dialectale, aux étagères remplies de livres sur la langue, l’auteur de cet article entend résonner ses propres origines –qui se trouvent à Dixmude, à une dizaine de kilomètres à l’est. Et pourtant, malgré l’existence d’une orthographe et malgré de nombreuses affinités, la conversation se déroule dans un mélange subtil des langues de Bachten et Voor de Kupe (2), les deux régions de part et d’autre du fleuve Yser. Un exemple? À Dixmude, sur la rive droite, nous utilisons le pronom interrogatif wuk –plus courant et plus généralement flamand occidental– pour dire wat («quoi»), alors qu’à Furnes, plus à l’ouest, on dira plutôt wiene. «Mais à Furnes aussi, les jeunes locuteurs se mettent déjà à utiliser plus souvent wuk que wiene», déclare Winnock.
Frieda Moeneclaey, qui avec ce dernier corédige la Diejalektgazette, la Gazette du dialecte, s’est jointe à la discussion. Frieda Moeneclaey vient d’Alveringem, à quelques kilomètres au sud, où la langue de Bachten de Kupe déborde déjà sur le flamand de France. Elle a apporté une feuille sur laquelle elle a noté, en vue d’un lexique complet, des qualificatifs de personnes plutôt péjoratifs. Pour moi, qui ai quitté la région depuis trente ans, les retrouvailles avec des termes comme angkeroare (celui qui «colle»), oavereksjchn (celui qui fait de l’obstruction), beuzevuller (profiteur), beslagmaakr (fouineur) ou bedorvn keun (enfant gâté) ont quelque chose de proustien –entendus tant de fois, à l’époque, puis plus jamais, jusqu’à ce que soudain les voilà, devant moi, écrits sur le papier.
«Beaucoup de ces mots sont condamnés à disparaître», déclare Moeneclaey, non sans réalisme. Qu’importe, son association, qui compte cinq cents membres et dont le programme annuel est rempli de réunions de membres, d’après-midi de discussion en dialecte, de cours de dialectologie, de représentations théâtrales et autres, a le vent en poupe. Au moment où j’écris ces lignes, le dernier numéro de la gazette –janvier, février, mars 2025, 20e année ou joargangk– vient de sortir de presse et sent encore l’encre fraîche.
Les Pays-Bas décomplexés
Contrairement à la Flandre, les Pays-Bas ont une longue tradition de pratique de la langue standard. En Flandre, ce n’est qu’au XIXe siècle que les «amoureux de la langue flamande», dans leur lutte contre le français, ont choisi le néerlandais septentrional comme langue officielle. Et ils sont allés loin: non seulement le français devait disparaître, mais aussi les dialectes flamands. Car une reconnaissance officielle de telle ou telle variante régionale, le gantois, l’anversois, le limbourgeois ou le flamand occidental, aurait dévié l’attention de ce qu’on viendrait à appeler l’Algemeen Beschaafd Nederlands (l’ABN ou néerlandais général et civilisé), et aurait fait obstacle à l’éveil de la conscience populaire en matière de langue. Ceci est tout sauf le cas aux Pays-Bas, où, des siècles plus tôt qu’en Belgique, la connaissance et la diffusion de la norme linguistique officielle ont été bien enracinées et homogènes, et ont conduit à un traitement plus libre des variantes.
L’une des langues régionales les plus populaires des Pays-Bas est le limbourgeois, qui relève de la partie II de la Charte européenne des langues minoritaires. Cela signifie que les autorités ne se contentent pas de reconnaître la langue, mais qu’elles soutiennent également, par principe, son maintien et sa survie.
Plus encore, si l’on interroge la linguiste Stefanie Steinhauer-Ramachers, coordinatrice linguistique régionale pour la province du Limbourg depuis fin 2024, un statut relevant de la partie III est également à portée de main. «Cela signifie que les gouvernements rendent la protection et la promotion d’une langue juridiquement contraignante, et que l’enseignement et l’administration, entre autres, peuvent aussi se faire dans la langue régionale. Nous avons déjà fait de grands pas dans cette direction.»
Stefanie Steinhauer-Ramachers, coordinatrice linguistique régionale pour la province du Limbourg: «nous sommes partisans de l'utilisation de la langue régionale dans le plus grand nombre possible de domaines de la société»DR
Stefanie Steinhauer-Ramachers travaille pour le Hoes veur ‘t Limburgs (Maison du limbourgeois), situé à Ruremonde, et plus précisément dans la Weerstand (Résistance), une ancienne usine Philips magnifiquement réaffectée, où travaillent de nombreux acteurs culturels et créatifs. L’espace de travail de la Maison est, lui aussi, chaleureux et moderne. En d’autres termes, les autorités provinciales et autres y ont alloué beaucoup de ressources.
«Le Hoes rassemble différents acteurs travaillant sur le limbourgeois», explique Steinhauer-Ramachers. «Nous sommes un centre de connaissances, avec nos partenaires sur le terrain nous travaillons à des produits éducatifs en limbourgeois, entre autres, et nous sommes bien sûr partisans de l’utilisation de la langue régionale dans le plus grand nombre possible de domaines de la société.»
Les exemples sont nombreux, mais un élément que Stefanie Steinhauer-Ramachers met en évidence est celui de la garde d’enfants. «Si la maîtrise générale du limbourgeois reste élevée, nous constatons un déclin chez les jeunes de 18 à 34 ans. C’est pourquoi l’un des projets sur lesquels nous nous concentrons est Zjuulke (le petit Jules), un bambin limbourgeois, pour ainsi dire. Zjuulke est une structure d’accueil bilingue qui permet aux tout-petits de se développer de manière bilingue, en néerlandais et en limbourgeois. Dans la phase pilote, nous avons commencé à travailler sur six sites, l’année dernière il y en avait déjà huit, et cette année quatorze s’y ajouteront, portant le total à vingt-deux.»
Bèr Brounts, qui nous a également rejoint, est actif au sein de Veldeke, une société dialectale qui porte le nom de l’écrivain et poète médiéval limbourgeois Hendrik van Veldeke, le plus ancien et le plus renommé du Limbourg. Mais Bèr Brounts a aussi joué un rôle crucial dans la promotion de la Maison du limbourgeois. «Veldeke se compose de dix cercles locaux. Nous organisons des soirées et des conférences sur la langue régionale, nous publions des recueils de poésie et d’autres œuvres en limbourgeois et nous nous efforçons d’être présents dans les espaces publics, par exemple par le biais de panneaux en dialecte.»
Hoes veur ’t Limburgs milite en faveur d'une crèche bilingue néerlandais-limbourgeois. Zjuulke, un bambin limbourgeois, est la mascotte de ce projet.© Hoes veur ’t Limburgs / Peggy Alofs
Veldeke, qui possède par ailleurs une branche belge avec Veldeke Belsj, a vu le jour en 1926 et sera centenaire en 2026. «Veldeke a mis le limbourgeois, ou plutôt les dizaines de dialectes locaux qui le composent, sur la carte», explique Brounts. «Cela a été possible parce que la langue est vraiment vivante ici, avec sa propre orthographe pour chaque variante, par exemple. Lorsque les Limbourgeois parlent de leur identité, il est toujours question de la langue, puisqu’elle est liée à ce qu’ils sont, surtout à l’heure de la mondialisation.»
Pour se rendre compte que le limbourgeois est bien vivant comme peu de langues régionales le sont encore, il suffit de se promener dans le vieux centre de Remunj, comme les Ruremondais appellent leur ville. Nous sommes au début du mois de février, le carnaval bat son plein et, sur la place du marché, un chapiteau de cirque entouré d’une palissade porte des affiches dans la version urbaine de la langue régionale: Äöpening jubeleiejemfestiviteite, Prinseresepsie & Prinsebal, Loup nao de pómp Grande Finale (Ouverture des festivités de jubilé, réception du Prince et bal du Prince, Grande Finale Fichez le camp…) et ainsi de suite.
Bèr Brounts de l'association Veldeke: «Nous nous efforçons d'être présents dans les espaces publics, par exemple par le biais de panneaux en dialecte.»DR
Le carnaval est, oh que oui, une affaire sérieuse ici. Les chansons de carnaval couvrent un répertoire vivant, souvent séculaire, et sont un vecteur par excellence de la langue limbourgeoise. «Et pourtant, nous sommes un peu gênés par le fait que, lorsqu’il s’agit de dialecte, le carnaval est généralement la première chose qui vient à l’esprit», déclare Brounts. «Le limbourgeois est bien plus que cela, c’est un moyen de communication utilisé dans tous les domaines de la vie, dans toutes les sphères sociales et professionnelles.»
C’est ce que confirme Annemiek Schmetz, qui visite avec sa fille et son mari la Maison de l’histoire, une section de la bibliothèque municipale où vient de s’ouvrir l’exposition Remunjs, zo gek nog neet (Le ruremondais, pas si mal encore), consacrée à la langue de Ruremonde. «C’est notre langue maternelle», explique Annemiek, «et cette petite [montrant sa fille Benthe, qui a 10 ans] la parle déjà parfaitement».
La langue de la maison
Aux Pays-Bas, le limbourgeois n’est pas seul à bénéficier d’une reconnaissance de type II. Il en va de même pour le bas-saxon. Outre dans le nord de l’Allemagne, cette langue est parlée dans les provinces de Drenthe, Groningue et Overijssel, entre autres, où elle est présente sous plusieurs variantes.
Arja Olthof, responsable des langues régionales au Huus van de Taol: «Il serait bon que les locuteurs de la langue drenthoise donnent aux non-locuteurs l'espace nécessaire à son apprentissage».DR
À titre personnel, Arja Olthof, responsable des langues régionales au Huus van de Taol (Maison de la langue) dans la province de Drenthe, utilise, selon l’endroit où elle doit se rendre, le drenthois ou le twentois –d’après la Twente, la région d’Overijssel où elle a ses racines. «Il existe des différences spécifiques entre toutes ces variantes, mais ce qui est typiquement bas-saxon ce sont le son ao ou la forme t à la première personne du pluriel, comme dans wij loopt (nous courons) ou wij warkt (nous travaillons). Le bas-saxon a fait l’objet d’études scientifiques, mais plutôt que de parler de dialecte ou de langue régionale, les locuteurs préfèrent utiliser le terme de langue de Drenthe».
Le drenthois est, plus que le limbourgeois, la langue de la maison, de «derrière la porte», comme l’appelle Arja Olthof. Bien que les autorités, les théâtres et même les publicitaires manifestent de l’intérêt pour rendre la langue drenthoise à nouveau plus présente, sa visibilité dans les espaces publics reste limitée. Le Huus cherche à créer une dynamique, par exemple en faisant appel aux autorités, par le biais de projets éducatifs ou en mettant l’accent sur la littérature et l’écriture. Mais en fin de compte, «un chanteur connu comme Daniël Lohues, qui chante en drenthois, pourrait avoir plus d’impact que nous autres».
Près de 80% de la population de Drenthe «comprend» la langue, 42% des Drenthois déclarent la parler «bien» et 17% «assez bien». Cependant, Olthof aussi constate que «les jeunes utilisent de moins en moins la langue drenthoise». Elle a donc du pain sur la planche. Arja Olthof et son équipe –six salariés et plus d’une centaine de bénévoles– font de la promotion linguistique, organisent des conférences et des débats radiophoniques, ont désigné le mois de mars comme le mois du dialecte, dirigent les personnes qui donnent des cours de langue et élaborent des livrets pour le secteur des soins, un domaine où la langue vernaculaire est très utilisée.
«Le problème reste que certains locuteurs conseillent aux non-locuteurs de ne pas essayer le drenthois», déplore Olthof. «Au contraire, il serait bon que les nouveaux arrivants enthousiastes donnent à la langue drenthoise une place qui lui rende justice, et que les locuteurs, eux aussi, donnent aux non-locuteurs l’espace nécessaire à l’apprentissage.»
Aucune reconnaissance officielle
En raison de son histoire linguistique complexe, la Belgique, contrairement aux Pays-Bas, n’a pas signé la Charte européenne et n’a pas de langues minoritaires reconnues en son sein. Il n’y a donc pas de reconnaissance officielle des dialectes flamands, et certainement pas de fonctionnaires pour les langues régionales comme le limbourgeois ou le drenthois.
Une exception: Brusseleir! Elle est la seule association dialectale de Flandre –en l’occurrence à Bruxelles– qui compte deux employés rémunérés travaillant à temps plein à la promotion de la langue bruxelloise. Dans les locaux branchés où Brusseleir! a ses bureaux, l’association vend des livres, des DVD, des CD, des sacs, des casquettes, des T-shirts, des tabliers de cuisine, des livres de cuisine et des cartes postales avec des poèmes.
No de kluute –foutu, dit-on en bruxellois flamand quand rien ne va plus, mais ce n’est pas le cas de cette langue. «Loin de là», assure le directeur-général Geert Dehaes. «L’intérêt pour notre travail est grand à Bruxelles et dans le Rand (la périphérie), les jeunes Bruxellois regrettent souvent de ne plus parler la langue, je constate une fierté retrouvée et les initiatives fusent. Prenons les spectacles du Volkstejoeter (Théâtre populaire), qui attirent jusqu’à vingt-cinq mille visiteurs par an. Même des Bruxellois d’origine étrangère, des Argentins ou des Italiens devenus des amoureux de Bruxelles, s’inscrivent à nos cours de langue.»
Et ce n’est pas tout. Chaque année, Brusseleir! organise De Weik van ‘t Brussels (la semaine du bruxellois), élit le Brusseleir van ‘t Joêr (le Bruxellois de l’année) et fait le lien avec le monde des affaires, car la langue brusseleir évoque la convivialité et la chaleur, valeurs utiles pour se connecter sur le lieu de travail.
Un beau mélange de flamand et de français, une dose nécessaire de zwanze ou d’humour truffé d’autodérision ainsi qu’un soupçon de folklore qui, selon Dehaes, «n’a rien d’anormal»: voilà ce qu’est le brusseleir! «Mais notre dialecte est bel et bien une affaire sérieuse, c’est une langue à part entière avec une orthographe, une grammaire et une littérature.»
Geert Dehaes de Brusseleir! (au centre, avec le micro): «L'intérêt pour notre travail est grand à Bruxelles, les jeunes Bruxellois regrettent souvent de ne plus parler la langue, je constate une fierté retrouvée et les initiatives fusent».© Guido Van den Troost / Brusseleir!
Des cafés aux marchés, on l’entend parler, le brusseleir; cependant, le nombre de Bruxellois qui maîtrisent la langue encore est un sujet de recherche qui pour l’heure n’a pas été abordé. «Dans l’ouest de la ville, cela fonctionne bien, mais dans l’est, très francophone, il faut être honnête: on y entend de moins en moins de bruxellois. Et pourtant: même dans la ville très diversifiée qu’est devenue Bruxelles, la langue a le droit de s’affirmer. Sans connotation nationaliste, mais comme rappel des racines de la ville.»
Si les dialectes suscitent une certaine nostalgie, ce sont aussi des êtres vivants, qui évoluent avec leur temps. «Les jeunes se marient de moins en moins avec des personnes de leur village», explique le professeur Van Keymeulen. «C’est là que tout commence. Ils partent pour étudier et s’imprègnent d’autres influences. À la suite de ces processus, de nombreux dialectes parlés localement en Flandre sont devenus des variantes géographiquement plus importantes ou des régiolectes, alors que les jeunes générations ont commencé à parler une langue intermédiaire, la tussentaal. Celle-ci est une variante familière et informelle, purement parlée, qui se décline de manière régionale, car la langue intermédiaire brabançonne est différente de celle de Flandre-Occidentale.»
Les dialectes des Pays-Bas et de la Flandre peuvent-ils, tout compte fait, encore être sauvés? Van Keymeulen s’anime: «Les sauver? Je m’en tiens à la préservation, à la documentation et à l’étude. Contrairement à ce qui est le cas aux Pays-Bas, la Flandre n’est guère favorable à la promotion officielle des langues régionales, même si nous adoptons aujourd’hui une attitude plus détendue et plus positive à l’égard de celles-là. Nous ne percevons plus les dialectes comme une menace au néerlandais, et c’est déjà une bonne chose. Cela n’a pas toujours été le cas.»
Notes
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Le nom de l’association Bachtn de Kuupe fait référence à la région de Bachten de Kupe dans le Westhoek, entre la rivière Yser, la mer du Nord et la frontière française. Le nom signifie littéralement «derrière la cuve», la cuve étant l’Yser.
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Voor-de-Kupe (Devant-le-fleuve) n’est pas un nom officiel, nous le proposons ici pour indiquer la distinction avec Bachten-de-Kupe (Derrière-le-fleuve).
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La survivance de dialectes relève effectivement de la sensibilité régionale ou locale. Cela concerne tous les Etats qui rassemblèrent et unifièrent les populations autour du pouvoir central au moyen d’une langue unique et nationale. Mais l’imposition d’une langue nationale ouvrit aussi les portes de l’enseignement et de la culture au plus grand nombre. Les dialectes ne suffisent pas ou plus à la science, à l’industrie et au monde technique. Affaiblir la langue nationale signifie, aujourd’hui en Europe, se vassaliser à la langue anglaise, au globish, mais aussi, avec un avantage surprenant, se connecter aux locuteurs du monde entier. L’industrie touristique profite chaque année de la pratique du globish anglais qui reprend la place du latin au moyen-âge. En Europe, s’il fallait apprendre vingt-sept langues pour voyager, chacun resterait au pays.
Evidemment, si relancer les dialectes dans un sens d’influence politique invasive, alors on se trouve sur une autre terrain. Un en mot, s’intéresser aux dialectes dans l’Artois, en France, relève du fantasme « Léo Belgicus » ou Neerlandia Una du » Verbond van Dietsche Nationaalsolidaristen ».