Miroir de la culture en Flandre et aux Pays-Bas

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«Bult»: Une histoire poétique sur le silence du monde
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La première fois
Littérature

«Bult»: Une histoire poétique sur le silence du monde

Avec Bult (Bosse), Marieke De Maré a écrit une histoire poétique sur la façon dont des gens qui vivent côte à côte finissent par se retrouver parce qu'ils partagent le même monde, avec des rêves, des désirs, des traumatismes et des craintes similaires. Bult est une histoire minimaliste et vulnérable qui se déroule dans une petite communauté intime: trois personnes vivant sur une bosse dans le paysage que l'on peut difficilement appeler une colline.

Les jeunes haies

Alors qu’ils plantaient les Taxus baccata, la vieille femme demanda au jardinier à neuf doigts si son dixième doigt lui manquait.
«Mon frère me manque», répondit-il en montrant sa main.
Quatre beaux doigts et un moignon.
«L’année où mon frère est mort, j’ai aussi perdu un doigt. Nous étions cinq à la maison.» Il tenait sa main en l’air en fixant le moignon.
«Vous comprenez?» demanda-t-il. «Et ma plus jeune sœur est gravement malade», ajouta-t-il avant d’abaisser son auriculaire gauche, à côté du moignon.
Il transpirait un peu à cause du jardinage.

«Du café?»

Ils burent du café.

«Les jeunes haies ont un désir », dit le jardinier. « Vouloir en faire pousser une trop vite est le meilleur moyen de l’enlaidir. Plus on la taille souvent au début, plus elle deviendra belle et touffue avec les années. Je propose que vous la tailliez en juin, août et septembre.»

Les deux femmes échangèrent un regard.
Elles rirent.
Elles n’avaient encore jamais taillé de haie.

L'agapanthe

Dans la maison du grand échalas, il n’y avait quasi aucune connexion avec le monde extérieur.
La jeune femme sonna un jour chez lui parce qu’elle avait besoin d’aide pour déplacer son agapanthe qui poussait dans un grand pot lourd en terre cuite. Elle dut attendre un bon moment avant que la porte s’ouvre.
«Excusez-moi, dit-il, j’étais sur l’armoire.
– Pardon?»
Il la fit entrer et lui montra son armoire. Devant était posé un escabeau.
«Je passe beaucoup de temps là-haut.»
Un panier pour chien côtoyait l’armoire. «C’est le seul endroit où j’arrive à avoir de la connexion, ce qui ne veut pas dire que je ne me sens pas connecté à vous!»
Il s’esclaffa.
Elle garda le silence.
«Asseyez-vous», dit-il.
Le grand échalas ne demanda pas à la jeune femme si elle voulait boire quelque chose, mais lui servit du thé au jasmin.
Il buvait du thé, donc elle aussi.
«Comment trouvez-vous la colline?» demanda-t-il.
Ils étaient assis face à face.
Elle causait peu. Lui, beaucoup.
Il parla de nuances de vert et du mouvement de flux et reflux d’un jour dans sa vie. Du fait que la terre tremble, et donc l’être humain. Que par conséquent, un cadavre ne saurait être inerte. Du soleil qui brille parfois jusqu’à en être aveuglant. De ce qu’il fait toujours nuit quelque part.
Il évoquait sa défunte mère quand l’épagneul papillon s’agita soudain, sans doute après avoir entendu du bruit dans la cuisine.
«Au moindre grincement ou craquement», dit le grand échalas, «il croit que ma mère vient le chercher.
– Comment savez-vous ce qu’il pense?» demanda la jeune femme.
Le grand échalas la fixa un long moment dans les yeux.
«C’est une bonne question», dit-il.
Et encore une fois.
«C’est une bonne question.»

Silence.

«J’ai entendu ma mère rendre son dernier souffle», reprit-il.
Il ouvrit la bouche, expira brièvement de façon audible.
«Comme ça», et il recommença. «C’était un soupir.»

«Quand je pensais au décès de ma mère, je m’imaginais toujours que j'allais mourir, mais quelques heures après sa mort, je suis rentré chez moi en vie, je me suis assis à table et j’ai mangé une poire juteuse. Enfin bref, conclut-il, le chien reste ici. Vous aviez une question à me poser?

– Non. Plus de questions», répondit la jeune femme.

Ensuite, elle déplaça elle-même l’agapanthe, en tirant et poussant copieusement. Par moments, elle aimait mieux peiner deux fois plus, que de se faire aider.

Extraits de Bult (Bosse), Uitgeverij Vrijdag, Anvers, 2020.
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