Dans l’atelier de Plantin: cinq poèmes Peter Theunynck
Dans les poèmes sélectionnés et traduits par Daniel Cunin, les mots de Peter Theunynck nous amènent au XVIe siècle, dans un espace onirique où flotte la présence de Christophe Plantin, célèbre imprimeur anversois.
Né à Eeklo en Flandre-Orientale, Peter Theunynck se manifeste depuis trente ans environ comme poète. Il a publié une dizaine de recueils à ce jour dont le dernier explore les thèmes majeurs du Cantique des Cantiques. Au début du XXIe siècle, il a consacré une grande partie de son temps à l’écriture d’une biographie –publiée en 2010– portant sur son compatriote Karel van de Woestijne. De ce poète majeur de Flandre, on lira en français l’anthologie bilingue L’Ombre dorée et autres poèmes, dans la traduction de Marcel Lecomte et Georges Thinès, parue aux éditions de la Différence en 1993.
Peter Theunynck © Kristof Ghyselinck
On doit aussi à Theunynck un roman qui traite de la fascination qu’éprouvent deux garçons, les frères Slembrouck, pour leur séduisante cousine –une chronique familiale d’où vont émerger des choses que beaucoup auraient préféré garder secrètes. Par ailleurs, avec la poète et illustratrice Lies Van Gasse, l’auteur belge a conçu un roman graphique portant sur la vie dramatique de Nel, l’épouse et modèle du peintre et sculpteur Rik Wouters.
En septembre 2025 a paru le nouveau roman de Peter Theunynck, De garde van Esen: un petit-fils explore le passé de son grand-père qui, après avoir combattu, en 14-18, l’envahisseur allemand dans les tranchées, semble avoir joué un rôle dans la collaboration durant la Seconde Guerre mondiale.
Le cycle qui suit en traduction est tiré du recueil De bomen zijn paars en de hemel (éditions Manteau, 1999). Cinq poèmes qui restituent l’atmosphère de l’atelier de l’un des plus grands relieurs-imprimeurs-éditeurs de tous les temps, à savoir Christophe Plantin, né près de Tours, mais ayant exercé une grande partie de sa vie à Anvers, ville qui lui rend hommage à travers le musée Plantin-Moretus.
L’imprimerie de Christophe Plantin
1.
«Je veux une maison, je veux une tanière
dans les jardins de Plantin», dit-elle.
Rien n’est plus beau que l’hellébore
de son corps dans cette terre. Elle se courbe
devant les roses, égoutte du réconfort
dans une oreille qui attend, tient ouvert
le répertoire des noms du printemps.
Voyez les grisonnants savants effacer les plis,
l’ombre de toute femme de leur costume.
2.
Parmi les amis vernissés de Moretus,
il y en a un qui demande un laissez-passer
de nuit. Lui qui cartographie mon arrière-pays:
Ortelius dans le plumage du corbeau. Rien
ne lui échappe: une anfractuosité de chagrin,
un talus de désir? Il les repère toutes et tous.
À chaque instant en compagnie de ce beau
Globe qui vient, sans même la moindre
invitation, se mêler à nos conversations.
© Plantin Moretus museum
3.
Dans la casse, les caractères sont censés
mûrir comme un grand cru réfractaire.
Les mots eux aussi ont besoin de temps
pour s’ouvrir. Accordons-leur de l’ombre,
des terres arables, posons-les sur du chêne
rouvre. Laissons-les agir à leur guise,
ils finiront par trouver leur place. Romain
attend un signe du haut de casse, voyelle
et consonne s’accouplent l’une à l’autre
ou introduisent une demande en espace.
4.
Le typographe met la main sur nombre
de lettres. Les emmène en contexte
sur la galée tout en veillant à ne pas
aller en Galilée. Bientôt les cassetins
toisent les mots de plomb sur le châssis.
Rien ni personne dans la gouttière.
La clé ajuste les coins en bois afin
que l’histoire reste soudée de a à z.
Puis le crin de cheval vient tamponner.
5.
Bientôt marbre et forme –que l’encre noircit–
se conjuguent, la coite et moite feuille vierge
piégée entre le petit et le grand tympans.
Dans cette chambre de torture, le maître
s’affaire: un coup de barreau et la vis sans fin
se démène, la platine brodequinne le papier.
Sur le corps veiné de bleu, le sang se coagule.
Épreuves et foulage passés, pressions
exercées, une nouvelle page se tourne.






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