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société

La Flandre, l’étrange et l’étranger

Par Tomas Vanheste, traduit par Jean-Marie Jacquet
13 août 2019 4 min. temps de lecture

Vous me prendrez pour quelqu’un d’ailleurs, pour un étranger si vous voulez, mais je trouve, moi, étrange la manière dont les médias et les autorités de Flandre utilisent le mot vreemd, ce mot qui signifie aussi bien étrange ou inhabituel que s’écartant de la norme.

Je lisais récemment dans un article de l’écrivain flamand Tom Naegels qu’une proportion notable de Belges trouvent qu’il y a en Belgique «trop de gens d’origine étrangère». Naegels réagissait au bilan d’un sondage d’où il ressortait que, pour une immense majorité de Belges, de part et d’autre de la frontière linguistique et de tous horizons politiques, les personnes «d’origine étrangère» doivent s’adapter à la «culture européenne» . Aux yeux de Tom Naegels, la défiance vis-à-vis des nouveaux arrivants, des gens «d’origine étrangère», est inévitable, nous devons apprendre à nous en accommoder.

Cette défiance me paraît, à moi, quelque chose qu’il ne faut pas alimenter, mais combattre. En commençant par ne pas cataloguer comme «étrangers les gens venus d’ailleurs»

Il y a gros à parier que j’aurais, moi aussi, répondu «oui» à la question de savoir si les nouveaux arrivants doivent s’adapter à la culture européenne. Mais ma première pensée est celle-ci: que ces Belges eux-mêmes s’intègrent dans cette culture européenne.

L’historien Henri Pirenne considérait ce qu’il appelait la civilisation nationale belge comme foncièrement internationale.

Qu’ils se comportent comme le prescrit la Convention européenne des droits de l’homme, cessent de pourchasser comme du bétail les migrants en transit, mais leur offrent le gîte et le couvert et ne parquent pas les détenus dans des conditions inhumaines, de façon que la Cour européenne des droits de l’homme n’ait plus à taper sur les doigts de la Belgique. Qu’ils reconnaissent que tous les hommes sont nés libres et égaux en dignité et en droits. Que l’homme qui est assis à côté de moi à l’hippodrome d’Ostende ne montre pas ma fille venue du Ruanda et mon pupille d’Angola en demandant «D’où est-ce que ça vient, ça?» comme si c’étaient des objets. Que les pouvoirs publics s’attaquent enfin à ce qui constitue la pire cause de l’intégration déficiente: l’enseignement belge, qui a tant de mal à combler le fossé entre nouveaux arrivants et autochtones. Que les femmes et hommes politiques belges mettent une bonne fois en pratique cet art du compromis dont ils se vantent si volontiers et qui, à les entendre, fait d’eux les meilleurs de tous les Européens.

Mais bon, je ne suis après tout qu’un «étranger». Quand, il y a un peu plus de trois ans, je suis venu m’installer en Flandre, il ne m’a guère fallu de temps pour comprendre quel était mon statut. En tant que ressortissant néerlandais, j’ai reçu une carte «d’étranger».

Même si ma nationalité néerlandaise me vaut de compter parmi les «étrangers» à peine différents des gens «normaux», je ne peux pas dire que, pour moi, une véritable intégration dans ce pays soit simple. Imaginez alors la difficulté pour ceux qui viennent de loin et n’ont pas la peau blanche!

S’il y a un point sur lequel Naegels a parfaitement raison, c’est lorsqu’il dit ceci: «Que les nouveaux arrivants soient perçus dans la vie quotidienne comme étrangers ou bien intégrés reste une question subjective».

Je suis né à Ostende. Jusqu’au jour où, à dix-huit ans, je suis devenu Néerlandais, mes papiers d’identité étaient belges. Aujourd’hui, j’habite à nouveau depuis quelques années dans mon pays d’origine. Je bondis de joie quand Thomas De Gendt remporte une étape du Tour de France. Les peintres qui me touchent s’appellent Léon Spilliaert (1881-1946) et Gust De Smet (1877-1943). Lieven Tavernier et Jonas Winterland sont pour moi des artistes de variétés pourris de talent. Les plus grands écrivains des Plats Pays sont, à mon sens, Louis Paul Boon (1912-1979) et Hugo Claus (1929-2008) – des Flamands. Mon plat préféré est l’anguille au vert. Mais pour les Flamands, à cause de mon accent, je reste le «Hollandais» et, si j’émets un avis différent du leur, la «grande gueule de Hollandais».

L’historien Henri Pirenne (1862-1935), un enfant du pays, considérait ce qu’il appelait la civilisation nationale belge comme foncièrement internationale. Elle devait, selon lui, sa force au fait que, se situant à un carrefour de l’Europe, elle était un creuset où pouvaient se fondre des courants d’idées de toutes provenances, montrait une grande ouverture d’esprit face à des idéologies de tous bords et savait y puiser ce qui lui était bénéfique. Puissent les Belges concevoir l’intégration en s’inspirant de cette nation rêvée, se débarrasser de leur obsession de l’origine et de leur phobie de l’étranger. Et commencer par ne plus montrer du doigt comme «étranger» quiconque vient d’un autre pays.

Tomas

Tomas Vanheste

journaliste indépendant et rédacteur en chef adjoint des publications de de lage landen.

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