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histoire

Les Boers, l’Empire et le sang : la guerre anglo-boer (1899-1902)

25 mars 2019 6 min. temps de lecture

Pour l’historien néerlandais Martin Bossenbroek, la guerre anglo-boer (1899-1902) présentait déjà toutes les caractéristiques de la guerre moderne au vu de l’emploi d’armes modernes, du gaz, des camps d’internement, des tranchées, des médias et du grand nombre de morts civils et militaires.

À tous points de vue cette guerre se caractérise par le déséquilibre des forces en présence. La plus grande superpuissance au monde, l’Empire britannique régnant alors sur trois quarts du globe, voit d’un mauvais œil l’aspiration à l’indépendance du Transvaal et de l’État libre d’Orange, deux mini-états à l’intérieur des terres sud-africaines. Leurs 250 000 habitants sont majoritairement d’origine néerlandaise et parlent, y compris un groupe d’huguenots français bien intégré, un dialecte néerlandais du XVIIe
siècle. Ils vivent de l’élevage et se font appeler Boers (paysans). Leur culture est imprégnée d’un calvinisme puritain et leur modèle économique est mercantiliste. Mais la découverte d’une grande quantité d’or sur leur territoire en 1886 signifie le début d’un boom économique et démographique. Ce développement en association avec la présence de Néerlandais dans l’administration du Transvaal et dans l’exploitation du chemin de fer Transvaal – Mozambique fait craindre à l’Empire la perte de son hégémonie. En écho aux mots du premier ministre Lord Salesbury, We, not the Dutch, are Boss, les Britanniques déclarent le 11 octobre 1899 la guerre aux Boers.

Au début de la guerre, les soldats de l’Empire britannique, en supériorité numérique et incarnant puissance, progrès et modernité, perdent à leur grande surprise une bataille après l’autre. Ils mettent neuf mois pour percer vers Bloemfontein et Pretoria, les capitales des Boers, et Johannesburg, la ville de l’or. À partir de l’été 1900 s’annonce le déclin inévitable des Boers. Mais au lieu de succomber au fatalisme, ces «cow-boys» insaisissables et bons tireurs entament une véritable guérilla et gagnent encore des batailles bien qu’ils se trouvent à un moment donné à seulement 15 000 en face de 280 000 militaires côté britannique. Excédé par ces commandos de rustres, l’Empire décide de les couper de tout soutien. Sur une ligne de quarante kilomètres, son armée incendie les fermes, détruit les récoltes, chasse le bétail et interne les habitants – essentiellement des femmes et des enfants, Noirs et Blancs – dans de terribles camps. Les deux républiques boers sont littéralement vidées et quadrillées. Des milliers de leurs combattants se rendent. En plus, ils font le constat amer que de nombreux hommes de couleur sont enrôlés par l’armée britannique. L’accord sur une white man’s war a été rompu. Les Boers considèrent les «Noirs» et autres personnes de couleur comme des serviteurs et non comme des guerriers, tandis que les Britanniques les équipent d’armes et leur promettent le droit de vote. Cette promesse de citoyenneté permet à l’Empire de renforcer ses troupes et de se vanter en Europe de son progressisme par rapport aux Boers racistes et non-civilisés. Ceci n’a pas empêché l’opinion publique néerlandaise, française et allemande d’être solidaire des Boers, ces héros tragiques défendant à corps perdu leurs valeurs et leur liberté. Toutefois les États respectifs de ces pays se sont abstenus d’interventions militaires pour la cause des Boers.

Les Britanniques n’ont pu remporter cette guerre que grâce au déplacement de la quasi-totalité des armées de l’Empire et à l’emploi systématique de la terreur contre les citoyens. En nombre de morts le bilan est désastreux. Les Anglais ont perdu 22 000 hommes. Côté Boers on compte 6 000 soldats et 28 000 victimes des camps d’internement, autant de Blancs que de non-Blancs. De surcroît, les terres des Boers s’étaient désertifiées. Le 31 mai 1902 fut signé à Pretoria le traité de paix. Les Britanniques conçoivent que l’Afrique du Sud ne sera pas gouvernable sans le soutien des Boers et les indemnisent de leurs pertes. En revanche, ces généreux vainqueurs «oublient» les droits civiques promis aux Noirs et personnes de couleur. Les Boers ont perdu leur indépendance mais conservent le droit d’utiliser leur langue à côté de l’anglais. Le Transvaal et l’État libre d’Orange obtiendront rapidement le même statut que le Cap et le Natal. Les gens de couleur sont vraiment les grands perdants de cette guerre. Ils n’obtiendront aucun droit. Pire, sous la pression des Afrikaners (le nouveau nom des Boers), ils vont même perdre le droit de vote au Cap. Onze ans après la guerre, le Natives Land Act fait de ces citoyens de couleur, dont bon nombre s’étaient battus à côté des Anglais, des étrangers dans leur propre pays. En réponse, ils fondent l’ANC (1912). Le prologue et l’épilogue de L’Or, l’Empire et le Sang établissent le lien qui existe entre la guerre anglo-boer et l’actualité sud-africaine.

Le cœur du livre consiste en trois tomes correspondant aux trois phases du conflit, chaque tome suivant plus particulièrement les écrits d’une personne directement impliquée dans cette guerre.

Les Britanniques n’ont pu remporter cette guerre que grâce au déplacement de la quasi-totalité des armées de l’Empire et à l’emploi systématique de la terreur contre les citoyens

Ainsi, le premier tome traite des derniers mois avant la déclaration de guerre – le 11 octobre 1899 – par le biais de la correspondance et des livres du juriste Willem Leyds, procureur de l’État du Transvaal et originaire des Pays-Bas. Le noyau du deuxième tome, consacré aux neuf premiers mois de la guerre, est formé par les livres, articles et lettres du correspondant de guerre Winston Churchill. Grâce au télégraphe mobile et à 200 correspondants sur le terrain, le public européen arrivait à suivre les mouvements au front de jour en jour. Lus par un large public, les reportages de Churchill sont à l’origine de sa grande popularité en Angleterre. Nonobstant la sympathie qu’il avait pour certains Boers, il est resté corps et âme dévoué à l’Empire. Il demande, et obtient même, l’autorisation de pouvoir combattre avec les soldats. Un cas extrême de embedded journalism! Le dernier tome a comme fil rouge les périples de Deneys Reitz, un jeune soldat boer qui a tenu un journal à partir de la chute de Pretoria en juin 1900. L’impression que Reitz nous donne de la situation désespérante dans laquelle se trouvaient les derniers commandos de Boers en 1902 est particulièrement émouvante.

La perspective multiple a permis à l’auteur une présentation quasi neutre des intérêts des différents États européens, de la logique du colonialisme impérial et de la dimension idéologique spécifique de la guerre anglo-boer. Les écrits de Reitz et de Churchill étant connus grâce aux historiens anglophones, le mérite de Bossenbroek sur le plan historiographique est d’avoir introduit la dimension néerlandaise – les Anglais parlaient de la Dutch connection – en exploitant les documents de Leyds.

Dans un langage direct et imagé, l’auteur décrit les batailles et les stratégies militaires sans oublier les armes et les chevaux. Grâce aux techniques narratives empruntées au roman – changements de point de vue, introduction de «personnages», sauts dans le temps, dialogues fictifs – et à un suspense maintenu jusqu’à la fin, ce livre, qui se base néanmoins sur une étude rigoureuse des sources, est très agréable à lire. En 2013, Martin Bossenbroek (° 1953) a reçu pour De Boerenoorlog l’important prix Libris d’histoire aux Pays-Bas. À l’heure actuelle, le livre s’y vend toujours très bien et des traductions en afrikaans, anglais, allemand et français ont vu le jour. La traduction française, parue en 2018, a le mérite d’avoir ajouté de nombreuses notes concernant l’histoire (coloniale) néerlandaise. La traduction est riche en périphrases ingénieuses servant la lisibilité, tout en gardant le même rythme que l’original. Ainsi les francophones possèdent un livre accessible à tout passionné d’histoire sur une période mal connue de l’histoire coloniale.

MARTIN BOSSENBROEK, L’Or, l’Empire et le Sang. La guerre anglo-boer (1899 – 1902) (titre original : De Boerenoorlog), traduit du néerlandais par Bertrand Abraham, éditions du Seuil, Paris 2018, 617 p. (ISBN 978 2 02 128197 2).
Dorien-Kouijzer

Dorien Kouijzer

critique et journaliste culturel

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