Arthur Brand, de la réalité de la traque d’œuvres d’art à la télé réalité néerlandaise
Pour ses découvertes d’œuvres disparues, volées ou spoliées depuis des décennies, Arthur Brand suscite tous les fantasmes. Tel un justicier, il louvoie pour la bonne cause dans l’univers interlope du grand banditisme et de son commerce de l’ombre. Récit sans filtre entre la France et les Pays-Bas avec ce Néerlandais, citoyen du monde de l’art
Arthur Brand faisait récemment la une des médias français qui le félicitaient d’avoir retrouvé le Reliquaire du Précieux Sang dérobé en juin dernier à l’abbatiale de la Sainte-Trinité à Fécamp (département de la Seine-Maritime).
© Ramon van Flymen / AFP
Plus que l’objet lui-même, la valeur insigne tenait à ses reliques du sang du Christ recueilli au moment de la crucifixion. Ses reliques, auxquelles on attribue plusieurs miracles, étaient conservées dans l’abbaye depuis le VIIe
siècle.
Le Reliquaire a été, du propre aveu d’Arthur Brand, sa plus importante découverte. Sa carrière en compte pourtant un grand nombre et non des moindres. On songe au Portrait de Dora Maar (1938) par Picasso, retrouvé vingt ans après son cambriolage survenu en 1999 à Antibes sur le yacht d’un cheikh saoudien.
Mais pour ce catholique, chercheur infatigable, passionné depuis l’enfance par les romans de la Table ronde et la quête du Graal, la dimension sacrée éclipse tous ses exploits passés. À son actif, près de 200 restitutions dont les manuscrits de Charles Darwin à son retour des îles Galápagos rendus à l’université de Cambridge, les chevaux commandés par Hitler à Josef Thorak, un portrait anonyme du XVIIIe siècle spolié à une famille juive puis restitué par le musée du Louvre en 2014 ou la bague en or d’Oscar Wilde dérobée à Oxford en 2002 et récupérée en 2019.
Souvent comparé à Indiana Jones, Arthur Brand oppose aux idées reçues une tout autre réalité
Ainsi qu’il s’en amuse, le «précieux» reliquaire lui est miraculeusement parvenu par un envoi postal dont il avait été prévenu par téléphone deux heures plus tôt. À ceux qui s’étonnent, Arthur Brand réplique que le fait n’est pas isolé, surtout quand l’objet a une portée hautement symbolique. Le voleur n’a pas toujours conscience de ce qu’il dérobe. Un propriétaire peut également ignorer que son bien a été volé. Ce fut le cas de la bague d’Oscar Wilde que le détenteur souhaitait offrir à son épouse.
Un travail «entre deux mondes», le «deal» avec la police et la mafia
Arthur Brand n’en revient toujours pas d’avoir retrouvé le reliquaire en deux heures alors que le Picasso lui avait demandé vingt ans. Les investigations s’étendent généralement sur plusieurs décennies. Elles impliquent une collaboration avec Scotland Yard, l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels en France et avec toutes les polices européennes.
Il pactise fatalement avec le grand banditisme qui est le plus souvent d’une grande dangerosité. La police, il l’informe systématiquement, bien que dans la plupart des cas, elle ne soit pas concernée par ces cold case sous le coup de la prescription. En France, celle-ci interdit la poursuite des enquêtes au-delà de dix ans.
À entendre Brand, son obédience à des règles de bonne conduite, y compris dans les milieux mafieux, lui permettrait d’évoluer en eaux troubles, sans être réellement inquiété.
© Westfries Museum, Hoorn
Pourquoi choisir Arthur Brand comme destinataire? Sans doute en raison de sa notoriété internationale largement alimentée par la série De Kunstdetective qu’il anime sur une chaîne de télévision néerlandaise. «Beaucoup préfèrent s’adresser à moi plutôt qu’à la police peu investie dans ces délits. En Belgique, il n’y a pas de service dédié au trafic de biens culturels. Aux Pays-Bas, quatre personnes lui sont affectées, en Angleterre cinq, alors que le trafic n’a jamais été aussi important».
Loin des clichés
Souvent comparé à Indiana Jones, Arthur Brand oppose aux idées reçues une tout autre réalité.
© musée du Pays châtillonnais, Châtillon-sur-Seine
Il est rarement sollicité, si ce n’est toutefois par des familles juives spoliées ou des acheteurs qui souhaitent s’assurer de l’authenticité d’une œuvre et qu’elle n’ait pas été volée.
Les investigations médiatisées relèvent dans l’immense majorité de sa propre initiative. Elles ne lui rapportent rien, même le Picasso évalué 70 millions de dollars dont le propriétaire ne lui a pas même envoyé un message.
Dans le cas du Bacchus, sculpture d’époque romaine disparue en 1973 restituée au musée du Pays Châtillonnais, une compensation prévue par la loi française devait être versée au collectionneur à titre de dédommagement. «J’ai dû trouver moi-même un donateur! Mon activité me coute de l’argent, mais j’y trouve une inestimable satisfaction».
Pour autant, les émissions et les livres, notamment son best-seller Les Chevaux d’Hitler traduit dans quatorze langues, sont indirectement sources de revenus.
La naissance d’une vocation
La naissance d’Arthur Brand à Deventer, ville natale de Han van Meegeren, faussaire notoire surtout de Vermeer, était prémonitoire. Son intérêt pour l’histoire, encouragé par un père professeur d’histoire de l’art, ont fait le reste. Dès l’enfance, il collectionne des monnaies qui, bien plus tard, se révèleront fausses.
Il découvre alors la personnalité exceptionnelle de Michel van Rijn dont la rencontre sera déterminante. «Il a été mon maître pendant six ou sept ans. Personnalité haute en couleur, il a été des années 1970 aux années 1990 le plus célèbre trafiquant d’art. Durant ces trois décennies, tous les milieux artistiques étaient impliqués dans ce commerce illicite, des maisons de ventes jusqu’aux musées. On se préoccupait moins des provenances. Aujourd’hui c’est différent, d’où les problèmes récents rencontrés par le musée du Louvre ou le Metropolitan».
© Réunion des musées nationaux Grand Palais
Lorsqu’il le rencontre, Michel van Rijn était devenu informateur. «Il m’a introduit dans tous les milieux, le FBI, la police et la mafia. Il m’a appris leur mode de fonctionnement, leur manière de penser. Il a été mon université et ma meilleure école». Beaucoup de «tuyaux» lui viennent de lui, en particulier la mosaïque du IVe siècle qu’en 1976, Michel van Rijn avait lui-même volée en Syrie.
Le disciple se met alors en quête de son propriétaire qu’il retrouve en Italie. Il l’aidera à s’acheter une virginité, avec la restitution comme monnaie d’échange.
Arthur Brand compte une quarantaine d’enquêtes non encore résolues dont le casse en 2010 au musée d’Art moderne de la Ville de Paris de cinq peintures de Picasso, Matisse, Braque, Modigliani et Fernand Léger. Le fin limier qui aime se comparer au maître du suspense Henri-Georges Clouzot, ne croit pas qu’elles ont été détruites comme le prétend le receleur jugé en 2017. Il a sans doute de bonnes raisons de le penser.
L’avenir de ce virtuose de la traque est plein d’espoir. «Je continue de chercher. Ce qui me rend si persévérant, c’est l’art, sa dimension symbolique, historique et spirituelle. Sa beauté m’invite à la patience».