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«La Vierge du chancelier Rolin» de Jan van Eyck: renaissance d’un chef-d’œuvre et de son contexte

27 février 2024 5 min. temps de lecture Chronique parisienne

À la faveur de la restauration de La Vierge du chancelier Rolin, aussi dit Le Chancelier Rolin en prière devant la Vierge, le musée du Louvre consacre une importante exposition à l’un des chefs-d’œuvre de Jan van Eyck (vers 1390/1395-1441). Cette restauration a bénéficié de l’étroite collaboration avec l’Institut royal du patrimoine artistique (IRPA) de Belgique qui mène depuis plus de dix ans la restauration de L’Agneau mystique de la cathédrale Saint-Bavon à Gand. Une soixantaine d’œuvres, dont six peintures et plusieurs enluminures de Van Eyck, replacent l’artiste au cœur des innovations de la Renaissance.

La Vierge du chancelier Rolin de Jan van Eyck a longtemps gardé ses secrets. On connaissait peu de chose de ce chef-d’œuvre que le XVIIIe siècle parvient à attribuer à Jean de Bruges, appellation usuelle à cette date de Van Eyck.

Saisie pendant la Révolution, la peinture intègre les collections du musée du Louvre en 1800. On décrivait alors l’architecture de «genre moresque» et, avec moult détails, le vêtement porté par «l’homme» dont l’identité ne sera dévoilée qu’au milieu du XIXe siècle. Quant à la ville à l’arrière-plan, on songea successivement à Liège, Maastricht, Autun, Genève, Utrecht et Lyon dont on pensait reconnaître le chevet de la cathédrale Saint-Étienne.

Un Flamand à la cour de Philippe le Bon

On sait aujourd’hui que le tableau fut exécuté vers 1435 à la demande de Nicolas Rolin (vers 1376/1380-1462), chancelier de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, pour orner sa chapelle dans l’église Notre-Dame-du-Châtel détruite en 1793. Établi à Bruges, Van Eyck avait été recruté dix ans plus tôt par Philippe le Bon en tant que «peintre et valet de chambre», office de cour assez fréquent à l’époque pour les artistes. Le Flamand allait ainsi intégrer une cour fastueuse dotée d’une des plus dynamiques et remarquables cultures d’Europe. Il en deviendra l’un des acteurs majeurs grâce à un commanditaire épris d’art flamand.

Les peintures, enluminures, sculptures et pièces d’orfèvrerie présentes dans l’exposition témoignent de ce mécénat ambitieux. L’orfèvrerie et le travail des pierres dures continuaient de susciter l’admiration de grands commanditaires, tels les ducs de Bourgogne dont les commandes se concentrent sur les Plats Pays qu’ils soutiennent ardemment.

La science au secours de l’histoire et de sa compréhension

La Vierge du chancelier Rolin avait livré une part de ses secrets avant sa récente restauration. La réflectographie à l’infrarouge avait révélé des repentirs mais aussi la présence d’une bourse attachée à l’habit du chancelier. Ce détail masqué par Van Eyck était significatif de la fortune du commanditaire. Nicolas Rolin était d’extraction aisée mais roturière. Sa charge lui avait permis d’accroître considérablement ses richesses et d’épouser Guigone de Salins, membre de la haute noblesse.

Une fonction repensée de la peinture

Le chef-d’œuvre de Van Eyck n’avait jamais été restauré depuis son entrée au Louvre. Sa restauration a soulevé dès le décrochage une première interrogation liée à son revers en faux marbre de la main de Van Eyck. «Cela nous invitait à repenser le statut de cette peinture», souligne Sophie Caron, commissaire de l’exposition. «Sa destination n’était peut-être pas uniquement d’être accroché à un mur, mais aussi d’être un objet de dévotion, emportée par Rolin dans ses voyages comme le serait un livre». Situés au-dessus du chancelier, les chapiteaux qui renvoient au salut et à la rédemption pourraient corroborer cet usage mobile, car l’iconographie n’est vraiment lisible que de très près.

Sophie Caron: Van Eyck initie un nouveau langage à la touche invisible qu’il allie à un génie de la lumière

La restauration questionne aussi la technique, en l’occurrence celle de la peinture à l’huile dont on a longtemps attribué l’invention à Van Eyck. Sans en être l’inventeur, ce dernier a joué un rôle important dans ses prémices en en perfectionnant l’usage à un degré de virtuosité inégalée, tel un Dürer s’appropriant la récente technique de la gravure qu’il portera à un réel niveau de perfection.

Pas d’innovation technique mais «une maîtrise de la restitution illusionniste des textures», s’enthousiasme Sophie Caron, «simulant les fils d’or des brocards dont il accentue la somptuosité. Contrairement aux usages, il peint “mouillé sur mouillé” en diluant la peinture, quand à d’autres moments son pinceau est plus graphique. Prodigieux observateur, il initie un nouveau langage à la touche invisible qu’il allie à un génie de la lumière». Cette nouvelle technique lui donnait les moyens de son ambition naturaliste.

L’apport providentielle de la restauration du polyptyque de Gand

Membre de la Commission scientifique de la Restauration, Sophie Caron se situe au cœur des échanges auxquels ont donné lieu les restaurations de L’Agneau mystique et celle du Portrait de Baudoin de Lannoy de la Gemäldegalerie de Berlin, également présent dans l’exposition.

Les restaurations sont devenues quasi collégiales, en dépit parfois de divergences d’expertises. La Vierge du chancelier Rolin présente des défauts techniques, en matière de séchage visibles dans le manteau de la Vierge provoquant de grandes craquelures identiques à celles observées dans le retable de l’Agneau mystique. Qualifiées de «prématurées», elles apparaissent dès les lendemains de l’exécution. «On peut en déduire», indique Sophie Caron, «que l’artiste se livrait à des expérimentations, notamment dans les rouges pour lesquels il utilisait, comme dans L’Agneau mystique, du fer broyé comme siccatif pour peindre plus rapidement».

Dès sa présentation au début du XIXe siècle dans le Salon carré du Louvre, La Vierge du chancelier Rolin fit grande impression sur un public peu habitué à l’art des peintres du nord. On considérait plus volontiers leurs peintures comme des «objets de curiosité», disait-on à l’époque, plus que comme de réels chefs-d’œuvre. Le rôle de ce tableau fut considérable dans la reconnaissance des artistes du septentrion.

L’exposition resitue Van Eyck à l’avant-garde de nouveautés aussi importantes que celles opérées par les Italiens de la Renaissance. Les six peintures de Van Eyck rivalisent avec celles de ses émules Rogier van der Weyden (Rogier de la Pasture), Robert Campin, Jérôme Bosch ou de l’Italien Pisanello.

En faisant revivre le contexte de ses créations, l’exposition redonne à Van Eyck le statut qui était le sien de son vivant. La Vierge du chancelier Rolin prouve sa proximité des puissants et l’importance d’un réseau politique qui lui confia des missions diplomatiques. Revoir Van Eyck met en évidence une aura exceptionnelle que nos artistes contemporains espèreraient en vain de nos jours.

L’exposition Revoir Van Eyck. La Vierge du chancelier Rolin se tiendra au musée du Louvre à Paris du 20 mars au 17 juin.
Geneviève-Nevejan

Geneviève Nevejan

critique d'art

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