Louvre Couture, la reconnaissance des stylistes flamands et néerlandais
L’exposition Louvre Couture présente le dialogue riche et continuel entre l’art et la mode. Au-delà des top ten tels que Dior, Chanel ou Yves Saint Laurent, les Flamands et Néerlandais se taillent une part estimable des liens que tisse le commissaire Olivier Gabet entre stylisme et chefs-d’œuvre du département des objets d’art du musée du Louvre.

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En confrontant le vestiaire contemporain aux objets d’art, Louvre Couture. Objets d’art, objets de mode démontre la persistance de l’influence de l’art sur le vêtement, y compris de la part des stylistes les plus radicaux. En accordant une large place aux créateurs du septentrion, Olivier Gabet, directeur du département des objets d’art du Louvre, prolonge le prestige indéfectible exercé par les écoles du Nord auprès des académies, cours royales ou commanditaires privés du Moyen Âge jusqu’à l’époque moderne.
En rupture avec les canons du classicisme, les créations des «Six d’Anvers», de Martin Margiela ou d’Iris van Herpen se voulaient «disruptives», selon la terminologie du marketing. Force est de constater que ces derniers demeurent pourtant, et peut-être plus que leurs homologues européens, attachés à la culture de leurs origines.
Les «Six d’Anvers», la génération spontanée de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers
Qu’au début des années 1980, la presse anglaise ait accolé «Anvers» aux six stylistes issus de son Académie royale des beaux-arts traduisait déjà l’attachement de ces protagonistes à leurs racines. De cette génération fertile, l’exposition retient Dries Van Noten et un affilié, Martin Margiela.

© château de Flaugergues
Leur présence pourrait surprendre alors qu’ils sont perçus dans les années 1980 comme les parangons de tendances minimalistes insufflées par le Japon, sans compter leurs emprunts au mouvement punk et l’influence de leurs prédécesseurs, Mugler, Montana ou Gaultier que Martin Margiela a du reste assisté.
Dries Van Noten reconnaissait que l’académie d’Anvers lui avait transmis un «profond respect pour la tradition et une grande admiration pour le passé». Même s’il ne s’érige pas en nostalgique, le fils de drapier affiche clairement ses références à l’art de la Flandre, notamment dans la collection de 2017.
L’Anversois empruntait à une tapisserie de Bruges de 1540 ses motifs de verdures et feuilles d’acanthes. Filant la métaphore du détournement, il citait également textuellement Moïse sauvé des eaux, tapisserie flamande du XVIIe siècle conservée au château de Flaugergues à Montpellier.
Fait unique de l’histoire de la mode au XXe siècle, Martin Margiela renouait avec l’anonymat des artisans du passé en se démarquant par des étiquettes dépourvues de mention de nom, étiquettes dont les coutures apparaissaient à l’encontre des usages sur l’endroit du vêtement. Ce contre-emploi des codes de la notoriété et de la visibilité deviendra le ressort de sa communication.

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Après la vente de sa marque, un collectif se substitue au styliste sous l’égide du vocable Maison Margiela. En 2014, le collectif force encore le trait de la dépersonnalisation avec la Collection Artisanal dont l’un des modèles recyclait lampas d’ameublement d’époque Louis XV et pièces de monnaie en argent chinées dans des brocantes.
Une académie et des académiciens qui font école
L’académie anversoise ne renvoie pas aux seuls frontaliers ou autochtones. À l’heure où l’enseignement se mondialise, elle suscite aussi l’intérêt d’autres nationalités, tels le Georgien Demna qui officie chez Balenciaga ou la Française Nadège Vanhée aujourd’hui chez Hermès après avoir œuvré sous l’enseigne belge Delvaux, puis chez Margiela. Demna se souvenait peut-être des références classiques apprises à l’académie lorsqu’il concevait en 2020 Robe de bal, robe à crinoline dessinée comme une épure pour Balenciaga.

© musée du Louvre - N. Bousser
«Les robes de bal», invoque le créateur, «nous ramènent au commencement de Balenciaga, quand Cristóbal a débuté en Espagne. Il dessinait principalement ce type de silhouettes, tirées de la peinture espagnole. Mais nous voulions être sûrs d’en faire des robes portables, et si vous retirez la crinoline, vous obtenez une sorte de robe gothique.» L’opulente collection célébrait le retour de la maison Balenciaga à la haute couture. Le bad boy épris de streetwear se montrait capable de sculpter ses modèles dans la veine de Cristóbal par leur élégance et leur féminité.
Présent ancré dans le passé et plongée dans le futur
Demna fait école quand il forme Marine Serre, diplômée par ailleurs de l’École nationale supérieure de La Cambre à Bruxelles. La Française retient encore le détournement de tapisserie dans Rising Shelter (2023) où apparaît un détail de La Vue, fameuse tenture du XVIe, La Dame à la Licorne. Elle s’appropriait le motif de la bannière ornée de croissants de lune, devenu le symbole de sa maison popularisé par Beyoncé. La styliste ne se contente pas de recycler le passé quand 90% de sa collection Fichu pour fichu (2022) résultaient de l’upcycling. Militante de la slow fashion, elle prône le réemploi de tissus anciens qui, détournés deviennent des transfuges d’une époque. Les Néerlandais sont aussi l’âme verte de la mode.
Louvre Couture est une véritable plongée dans les inépuisables sources d’inspiration que sont les musées pour les créateurs.
L’exposition n’élude pas les nouvelles technologies et l’ampleur de leurs champs des possibles. Témoin la Robe armure de Demna pour Balenciaga réalisée en 2023 par impression 3D en résine galvanisée polie et chromée. Elle ne nie pas pour autant son osmose avec l’histoire ainsi que l’illustre sa confrontation dans le musée avec l’armure dite d’Henri II (1560) relatant l’histoire de Pompée.
Formée à Arnhem, ville de la mode et du design, la Néerlandaise Iris van Herpen était à ses débuts en 2007 la benjamine des podiums. À ses yeux, il n’y a pas de contradiction entre sa passion pour Jérôme Bosch ou les cathédrales médiévales et son intérêt pour les biotechnologies qui font d’elle une prophétesse du futur.

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Elle le revendique par le titre de Robe Cathedral (2012), bustier en impression 3D de polyamide et cuivre (électrolyse). «Le passé est toujours lié à l’avenir» affirme celle qui qualifie ses créations du néologisme «craftolution», de craft, artisan et révolution.
Louvre Couture est une véritable plongée dans les inépuisables sources d’inspiration que sont les musées pour les créateurs. Plus qu’une reconnaissance pour les stylistes septentrionaux, leur présence auprès des plus grands noms de la mode et de la haute couture dans un palais royal élevé au rang de plus beau musée du monde, fait figure de consécration.
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