Une ambitieuse politique d’enrichissement, la mission première de la Fondation Custodia
Collectionneur érudit et historien d’art, Frits Lugt et son épouse avaient créé en 1947 la Fondation Custodia, dont la vocation visait à conserver et gérer l’ensemble de sa collection. Ce sont aujourd’hui quelque 90 000 estampes, tableaux, livres, dessins anciens et lettres d’artistes que renferme aujourd’hui l’Hôtel Turgot, également acquis par le couple en 1953. Ces dernières années, la Fondation a fait l’acquisition de nombreuses œuvres d’art importantes.
À l’âge de 8 ans, Frits Lugt (1884-1970) avait déjà constitué sa première collection de curiosités, « le musée Lugt » ouvert « lorsque le directeur était à la maison ». Dès 12 ans, il accède au cabinet des estampes du Rijksmuseum pour y étudier les dessins de l’âge d’or néerlandais. Après avoir esquissé trois ans plus tard une biographie de Rembrandt enrichie de ses propres illustrations d’après le maître, il entame le catalogue des dessins néerlandais du Rijksmuseum avec 955 entrées.
Ger Luijten, actuel directeur de la Fondation, était prédestiné à ce qui relevait d’une vocation plus que d’une simple fonction. Pour avoir été professeur d’art plastique, Ger Luijten savait dessiner comme Lugt, qui avait également fréquenté une école des beaux-arts. Celui-là s’orientera ensuite vers l’histoire de l’art et connaîtra une carrière rectiligne pour l’institution, au musée Boijmans van Beuningen de Rotterdam et enfin au cabinet des arts graphiques du Rijksmuseum d’Amsterdam.
Exposer et enrichir la collection
Dans la perspective de la Semaine du dessin à Paris, la Fondation présente dans l’exposition Studi & Schizzi Dessiner la Figure en Italie 1450-1700 quatre-vingt-cinq des 550 dessins que Frits Lugt avait rassemblés en l’espace d’un demi-siècle.
Prolonger l’esprit de son fondateur dans la programmation ainsi que dans la politique d’acquisitions, voilà les objectifs de la Fondation Custodia aujourd’hui. Cela en dépit d’un marché qui pour les écoles flamande et néerlandaise par exemple a doublé entre 2009 et 2011.
Les artistes absolus du septentrion n’en sont pas moins présents dans les acquisitions, à condition de parfois privilégier une technique autre que la peinture. Témoin en 2019, La Chasse aux Lapins (1560) de Pieter Bruegel l’Ancien, peintre célèbre dont on ne connaît que quarante peintures et près de soixante dessins. La Chasse aux lapins a en outre ceci d’exceptionnel qu’elle est la seule gravure exécutée par l’artiste.
Les lettres d’artistes, un aspect moins connu du fonds Custodia
Frits Lugt et son épouse Jacoba Klever-Lugt avaient accordé une importance au moins égale à la constitution d’un fonds de documents autographes propres à enrichir l’histoire de l’art. La Fondation compte aujourd’hui près de 58 000 lettres de Rembrandt, Dürer (envoi accompagné d’un croquis), Michel-Ange (s’adressant à Cosme de Medicis), Rubens, Titien, mais aussi Mondrian, Matisse ou Picasso. Ce versant de la collection a bénéficié en 2019 d’un contexte exceptionnel avec la liquidation judiciaire de la société Aristophil qui vendait des parts d’un patrimoine écrit à titre de placement financier. Vendre en bloc a toujours été favorable aux acheteurs. À l’une de ces ventes fleuves, le musée van Gogh achète 80 000 euros une lettre de l’artiste, autrefois cédée à Londres pour 500 000 euros.
Cette formidable opportunité a permis d’ajouter des pièces d’exception au fonds Custodia avec une série d’autographes de Degas, Géricault, ainsi qu’une missive de Wassily Kandinsky au pasteur néerlandais Hendrik van Assendelft, grand amateur des avant-gardes. D’autres trésors se sont ajoutés à cet ensemble, tels les envois de Pierre de Cortone au collectionneur romain Cassiano dal Pozzo, grand mécène de Poussin, celui de Degas au sculpteur Albert Bartholomé, sans compter dans cette traque aux chefs-d’œuvre, Greuze, Delacroix, Manet, Matisse. La consultation de centaines de catalogues de ventes a aussi permis d’extraire une autre pépite, la lettre inédite de Goya adressée un an avant sa mort à sa compagne Leocadia Zorilla.
Le bilan est d’autant plus remarquable que, comme le souligne Ger Luijten, le budget demeure modeste avec simplement quelques dizaines de milliers d’euros. Les achats atteignent parfois des sommes qui vont de 800 à 1500 euros. Le soutien de certains marchands comme Jean-Luc Baroni en 2016 pour l’acquisition de quarante-trois missives d’Édouard Manet (1832-1883) à son ami le peintre-graveur Félix Bracquemond (1833-1914), mérite aussi d’être souligné.
Arts décoratifs et esprit curieux
À l’image du donateur, la Fondation est rompue aux achats multiples destinés à l’ameublement de l’hôtel Turgot, que Lugt voulait à l’image d’un intérieur néerlandais du XVIIe siècle. En témoigne aujourd’hui une quarantaine de meubles, de porcelaines de Delft ou de Chine contemporaines du siècle d’or. Faisant siennes les aspirations de Lugt, Ger Luijten remplace les plinthes de menuiserie par des carreaux de Delft du XVIIe
siècle. Toutes les transformations sont opérées avec, dit-il,« toujours pour maître mot l’authenticité ». Quand le collectionneur rassemble 2 000 cadres d’époque, c’est dans l’idée de restituer les œuvres dans leur présentation d’origine. En 2019, Ger Luijten acquiert auprès de l’historique Maison Lebrun un cadre rarissime représentatif du style auriculaire qui était né aux Pays-Bas.
La Fondation Custodia et l’art contemporain
Lugt « aurait pu acheter tout van Gogh », déclare l’actuel directeur. « Il s’intéressait aussi à l’art de son temps, mais sans l’acquérir. Nous exposons donc des artistes plutôt attachés à des techniques traditionnelles, sans procéder à des acquisitions, afin de toujours demeurer en adéquation avec les goûts de Lugt ». C’est dans cet esprit qu’une exposition rétrospective (À bois perdu) est consacrée au graveur et paysagiste néerlandais né en 1968 Siemen Dijkstra.
Le couple britannique Rob et Nick Carter a pourtant fait entrer l’art contemporain dans les collections en offrant en 2015 Transforming Vanitas Painting (2012-2013). Dans un processus qui est leur marque de fabrique, les artistes se sont inspirés, dans un film d’animation qui retrace les différentes étapes de la mort d’une grenouille, d’une petite huile sur cuivre d’Ambrosius Bosschaert le Jeune (1609-1645) acquise par Lugt en 1918.
Préserver la mémoire et l’héritage : telle est la volonté affichée dès l’entrée de la Fondation avec le portrait d’Anne Robert Jacques Turgot par Houdon depuis son achat récent par Ger Luijten. Le contrôleur des finances de Louis XVI avait été un grand humaniste, contributeur de l’Encyclopédie
de Diderot et d’Alembert. Un choix éclairé de la part de l’actuel gardien des lieux. Tout un symbole !