«New Capital» de Nick Hannes: des images pour révéler et dénoncer
Après avoir posé un regard critique sur le tourisme de masse et ses conséquences écologiques, Nick Hannes tourne sa lentille vers l’urbanisation déshumanisante des nouvelles capitales, ces cités artificielles qui poussent dans différentes régions du monde. Une façon pour lui de poursuivre sa critique visuelle du néolibéralisme.
Le photo documentariste belge Nick Hannes parcourt le monde et en interroge le devenir dans le livre et l’exposition homonyme New Capital, Building cities from scratch. Révélant un phénomène mondial, il analyse l’émergence de six nouvelles capitales sur trois continents et en explore au-delà des faux-semblants, les véritables enjeux politiques, économiques, voire militaires, dans un vaste voyage en dystopie.
L’ADN Nick Hannes
Il ne se considère pas comme un photojournaliste, bien qu’il l’ait été pour plusieurs titres de la presse belge, au lendemain de ses études à l’Académie royale des Beaux-Arts (KASK) à Gand. «La nuance est peut-être subtile mais il y a une différence, souligne le photographe. Je ne couvre pas l’actualité et mes images relèvent d’un point de vue subjectif. Lors de la parution de Garden of Delight consacrée à Dubaï, j’ai d’ailleurs été critiqué pour n’avoir montré que l’industrie du divertissement et une forme de décadence, éludant volontairement les ouvriers, afin de me focaliser sur un mode de vie et de consommation à Dubaï.»
Nick Hannes: «New Capital est né de mon inquiétude quant au sacrifice du paysage sur l’autel du tourisme».© Nick Hannes
À la différence du photojournalisme dont les sujets sont dictés par l’actualité, ses choix lui appartiennent et dégagent même un ADN perceptible dans New Capital, son dernier opus. Dans Garden of Delight et Mediterranean. The Continuity of Many, Nick Hannes déplorait déjà les conséquences du tourisme de masse et notamment la bétonisation des côtes qui touche l’Espagne mais aussi la Turquie et la Croatie. «New Capital est né de mon inquiétude quant au sacrifice du paysage sur l’autel du tourisme. J’y exprime une critique visuelle d’un néolibéralisme également omniprésent à Dubaï et qui réduit un lieu à une potentialité économique».
Utopie ou greenwashing?
Le phénomène se développe avec une croissance exponentielle quasi systémique. En 1900, on dénombrait 40 capitales, en l’an 2000, 200. Et aujourd’hui 40% des États songent à les délocaliser. Officiellement, les motivations sont exclusivement louables. Ces cités d’un nouveau monde pavées de bonnes intentions visent à résoudre les problèmes de pollution, d’insécurité et de surpopulation. Nusantara, future capitale administrative de l’Indonésie apparaît comme une terre promise face au risque d’inondation de Djakarta qui s’enfonce dans les marécages sur lesquels elle a été bâtie. Aux commandes de son processus d’urbanisation, Urban Plus promet une ville durable, équitable et pour reprendre leurs termes, «intelligente» et «forestière» puisque 70% de sa superficie devraient être alloués aux espaces verts. NAC (New Administrative Capital) en Égypte s’autoproclame aussi green city, même si paradoxalement, elle naît ex-nihilo d’un désert dépourvu de ressources naturelles.
Ouvrier sur un chantier de construction, NAC (New Administrative City), Égypte© Nick Hannes
Culte de la personnalité
Les dirigeants qui ont présidé à leur naissance, les brandissent comme des trophées. Ils font volontiers appel à des architectes stars –et onéreux– tel le Japonais Kenzo Tange à Abuja, capitale du Nigéria ayant succédé à Lagos en 1991. À Astana, nouvelle capitale du Kazakhstan depuis 1998, les architectures de Norman Foster s’inscrivent clairement dans la communication de l’ancien et encore influant dirigeant, Noursoultan Nazarbaïev, cela depuis l’indépendance du pays en 1991 à la suite de l’effondrement de l’URSS. La Pyramide de la Paix de l’architecte britannique revendique la compréhension des religions, le renoncement à la violence et l’égalité des individus alors que le régime ne cesse de se durcir.
Astana Jardin botanique, Kazakhstan © Nick Hannes
Dans la ville, l’effigie de Noursoultan (Nur-Sultan, sultan de la lumière) Nazarbaïev est omniprésente comme le serait celle d’un héros, voire d’un saint laïc dont l’empreinte de la main dans la tour Bayterek (grand peuplier) est caressée par des milliers de Kazakhs qui espèrent ainsi la réalisation de leurs vœux. Nick Hannes en fige les innombrables portraits qui entretiennent le culte de la personnalité, en particulier dans le musée dédié à l’ancien autocrate.
Cybersurveillance sous couvert de sécurité
Plus que la volonté de protéger, ces supposément safe cities dessinent surtout le paysage de régimes autoritaires soucieux de leur propre sécurité. Guidée par le souvenir malaisant du printemps arabe, NAC assure sa protection à la faveur de pléthoriques caméras de surveillance et de quelque 6 000 drones. La cybersurveillance ne cible pas que la délinquance. Impossible pour Nick Hannes de prendre des photos dans aucune de ces villes sans autorisation. Les obstacles sont parfois insurmontables, notamment dans l’État de Myanmar qu’il a dû exclure de son champ d’investigation parce que les photographes –même localement– n’y sont pas les bienvenus.
Arc de triomphe, NAC (New Administrative City), Egypte© Nick Hannes
Malgré les discours optimistes du gouvernement indonésien alléguant les potentiels de la délocalisation, l’opinion reste sceptique face aux faibles ressources renouvelables en Indonésie, ainsi qu’aux conséquences écologiques, comme la déforestation, la menace pour la biodiversité de la forêt tropicale ou l’exploitation minière pour répondre au développement urbain, qui a entraîné le sacrifice de 14 000 hectares de forêts primaires. Des voix s’élèvent et des protestations massives dénonçaient récemment la cherté de la vie et la corruption.
Nick Hannes déplore les trop brèves autorisations qui érodent le temps qu’il souhaiterait accorder aux populations. Dans ses photographies, l’humain demeure pourtant omniprésent. «À Astana, le mémorial de Norman Foster, au demeurant grand architecte, paraît laid parce que l’environnement l’est. La ville est à son image, construite au milieu de nulle part. Je voulais surtout, confie le photographe, montrer l’absence d’échelle humaine et combien l’homme est minuscule et fatalement perdu dans cet environnement.»
C’est l’inhumanité qui hante ses images d’agglomérations fantômes au coût exorbitant pour des populations souvent démunies. L’accession à la propriété par les Nigériens ou les Égyptiens est financièrement quasi impossible quand 60% de la population nigérienne vit en deçà du seuil de pauvreté. Et ces chiffres ne cessent de croître. «L’inclusion n’est pas la priorité de ces cités qui au contraire encouragent la ségrégation sociale.» Le véritable objectif de ces projets pharaoniques vise l’invisibilisation de la pauvreté massée dans des bidonvilles notamment à la périphérie de Lagos, ancienne capitale nigérienne.
Bidonville en dehors du district de MAB Global Estate, Gwarinpa, Nigeria © Nick Hannes
New Capital nous interroge sur le sens de l’urbanisation croissante alors que la planète épuise ses ressources et qu’elle devrait à l’inverse se désurbaniser. Ses paysages d’un monde globalisé sont ceux de villes politiques déshumanisées. La photo documentaire à laquelle prétend se rattacher Nick Hannes rejoint le journalisme d’investigation, même si ce dernier s’en défend, parce que ses images révèlent et dénoncent. En visionnaire, le photographe rend visible l’invisible, grand thème de son œuvre qui prend part à un monde dont on aimerait imaginer la métamorphose. Mais les choses qu’on imagine existent-elles?
À lire, à voir:
Le site web de Nick Hannes
New Capital, Building cities from scratch, Lannoo Publishers, Tielt, Belgique, 2024
New Capital Bailleul-sur-Thérain, dans le cadre du festival Photaumnales, jusqu’au 7 décembre 2025











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