«I hit you with a flower», dites-le avec du rose
Think pink, telle est la sympathique injonction de l’exposition d’art contemporain I hit you with a flower sugar-coated art with a punch qui se déroule à la Maison d’Art Bernard Anthonioz (MABA) à Nogent-sur-Marne. Sous l’égide de Nanda Janssen, sa commissaire originaire des Pays-Bas, douze artistes dont six Néerlandais se font les parangons d’une esthétique girly allègrement assumée. Chacun nous emporte par un optimisme joyeux devenu trop rare sur la scène artistique contemporaine.
L’exposition pourrait illustrer un mouvement tant est grande la complicité des artistes fédérés autour d’esthétiques et de problématiques communes. Pourtant, il n’en est rien. Certains ne se sont rencontrés qu’à l’occasion de l’exposition initiée par Nanda Janssen. Cette fée de la communauté néerlandaise a eu l’idée lumineuse de réunir plusieurs artistes français, roumains, mexicain et hollandais autour de la Néerlandaise Kinke Kooi (1961), figure à la fois pionnière et inspiratrice.

© Fries Museum
Le projet est né de la volonté de lui rendre hommage. «Il s’agissait aussi, relate Nanda Janssen, de souligner la persistance tenace de normes qui divisent et par voie de conséquence créent des inégalités.» En célébrant la fluidité de l’identité, trans, drag ou kitsch qui ont ici droit de cité, on abolit, il est vrai, les frontières. «Toutes les différences ont leurs saveurs et en art, renchérit Nanda Janssen, elles sont les bienvenues.»
Kinke Kooi, la pionnière
Elle-même le reconnaît: «Mes images ont eu peu de visibilité car elles n’adhéraient pas aux diktats du bon goût.» Impossible de ne pas reconnaître, au-delà de la douceur de ses tonalités pastel, l’intériorité du corps, le rose des muqueuses ou la suggestion d’une vulve. L’aquarelle des apparences, les couleurs transparentes et liquides rendent séduisante l’exploration de l’anatomie féminine. Dans l’exposition, son œuvre rejoint les formes vulvaires converties en paysages de rêve par la Française Béatrice Lussol (°1970).

© DR
Kinke Kooi n’a peur ni du rose, ni des bijoux de pacotilles qu’elle associe aux muqueuses vallonnées. La nacre des perles côtoie les parties les plus intimes et érogènes des méandres féminins. Elle montre l’«under the skin», ce qu’une femme est invitée à dissimuler; elle en révèle les courbes enveloppantes et sensuelles. L’artiste nous réconcilie avec le «disgusting» des muqueuses qui, dans des mariages surréalistes d’éléments hétérogènes, épousent une main, la nature, les plantes, les fruits, les fleurs ou même la pécheresse Marie-Madeleine. Pas de hiérarchie et donc d’exclusion dictées par des standards rarement établis par les femmes. Le sexe ne l’effraie pas non plus, elle le suggère avec une subtilité toute féminine.
Ses métaphores organiques nous introduisent à l’idée d’une hospitalité qui lui est chère. «Chaque individu à un moment de son histoire s’est trouvé à l’intérieur d’un corps féminin. La mère en est le premier foyer.» C’est à cette dernière qu’elle souhaite aussi rendre hommage. À ses yeux, l’hospitalité est un art, une forme d’ouverture et de générosité. «Si vous êtes ouvert à l’autre, vous devez lui ménager une place. Notre société va à l’encontre de ce vide au sens noble du terme, parce qu’elle valorise à l’inverse le fait d’être plein de soi.»

Photo © Gilles Berquet
New generation, le refus des clichés et l’esthétique queer
La palette acidulée à la manière des confiseries et les chambres de jeunes filles sont les ingrédients favoris de Vera Gulikers (°1991). Avec ironie, elle parodie les stéréotypes ici érigés en contre-symboles, comme pour ce balai, emblème des tâches ménagères allouées aux femmes, dans les lanières duquel elle insère son autoportrait. Vera devient l’attribut de l’objet pour dénoncer la puissance des clichés qui emprisonnent les femmes.

© Vera Gulikers
Ce sont d’autres identités qu’invoquent Jurgen Galema (°1992). «Pink dreambeast», «The Gay Wizard» et «Vulva Pillows» annoncent par leur titre un genre assumé, voire revendiqué. «L’activisme est inhérent au statut de drag queen, reconnaît l’artiste, mais je ne me situe pas vraiment dans ce militantisme, même si cet aspect n’est pas totalement exclu de mon travail. Je le souhaite moins agressif, plus de l’ordre d’une friendly provocation.»

© DR
La tendance pink contribue à adoucir la violence du militantisme, ici atténuée par le satin avec lequel l’artiste sculpte les objets et ses costumes drag, telle sa «Penis dress» (2022). «Je voulais un autre mode de représentation qui ne serait pas débiteur d’un passé ou d’une technique traditionnelle.» Le tissu, nouveau mode d’expression, remporte à l’évidence les faveurs de la plupart des artistes de l’exposition I hit you with a flower», comme les Roumains Richard Otparlic (°1993) et Lucas Tortolano (°1995) avec leurs « Jardins Suspendus I» (2022) constitués de découpe laser sur organza, ou encore Afra Eisma (°1993) dont le tapis truculent «Cosmic smithereens» (2024) fleurte avec les arts décoratifs.

© DR
La marge, un possible modèle d’inclusion
Alex Naber (°1987) brave d’autres tabous, en formant un duo drag avec Chelseaboy (°1993), porteur de trisomie 21. Le duo recourt à un travestissement outrancier radicalement pink qui théâtralise leur féminité. Ils donnent ainsi une visibilité artistique à ceux que la société isole voire exclut de la sphère artistique. Il ne s’agit plus simplement de critiques de l’hétéronormativité mais de l’affirmation audacieuse d’une identité artistique et d’une fierté gay. Alex Naber & Chelseaboy ne se situent pas dans la revendication, ils se montrent solidaires et leur art prend la forme de l’amitié, et même de la sororité.

photo © Jan Hoek
Comme «Queens in lockdown (Portraits of Groninger Dragscene)», poupées à l’effigie des membres de la communauté queer de Groningen que Galema voulait «heureux d’être ici avec moi près de Paris», Alex Naber & Chelseaboy font de l’amitié et de la sororité un thème artistique d’une profonde humanité. Pour eux, la carte du tendre est dégénitalisée, en quelque sorte asexuée. Véritable exploration, I hit you with a flower étend la richesse de l’histoire culturelle des communautés hors normes. Elle en élève la vocation inclusive bien au-delà des limites de celles et ceux qu’on dit appartenir à une minorité marginale.
L’exposition I hit you with a flower sugar-coated art with a punch rassemble des œuvres d’Afra Eisma, Ninon Enea, Jurgen Galema, Vera Gulikers, Alan Hernández, Kinke Kooi, Ash Love, Béatrice Lussol, Alex Naber & ChelseaBoy, Richard Otparlic, Lucas Tortolano. Commissaire: Nanda Janssen.
Elle est présentée à Maison d’Art Bernard Anthonioz (MABA) à Nogent-sur-Marne jusqu’au 27 juillet.
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