La Vierge entre les vierges a joué un rôle central dans la réinvention de Gérard David (1460-1523), qui est étroitement liée à la réappréciation de l’art des primitifs flamands. Ce tableau magistral reste à ce jour la pierre angulaire qui permet de reconstituer l’œuvre de David.
Les historiens de l’art sont bien placés pour savoir que les changements de la sensibilité collective sont à la racine même de leur discipline, mais aucun ne peut nier être secrètement perturbé par ce constat presque scandaleux: les œuvres anciennes qui nous semblent aujourd’hui mériter la vénération universelle ont souvent traversé des périodes de complet discrédit. Ainsi La Vierge entre les vierges est passé presque inaperçu lorsqu’il a quitté le couvent brugeois où il avait accompagné et soutenu la dévotion des moniales pendant plus de deux siècles et demi, pour entamer la carrière d’un objet de collection. Le goût du temps ne portait pas les amateurs du xviiie
siècle vers l’art des «primitifs»: vendue en 1785 avec quelques joyaux du baroque anversois, l’œuvre est acquise par le marchand Bertels pour cinquante et un florins de Brabant; pour comparaison, une Adoration des Mages de Rubens trouve preneur à la même vente pour neuf mille florins, tandis qu’une Crucifixion
de Van Dyck est adjugée à six mille1.